L’Église a toujours été vu comme une barque. La barque des Apôtres, la barque de Pierre. Nous sommes tous participants de ce bateau, gouverné par le Christ lui-même, qui nous mène à travers l’histoire vers l’accomplissement de toute chose et qui continuera sa course dans l’éternité pour la gloire de la Trinité.
Ce bateau est gouverné par le Christ, mais il a chargé les apôtres et en particulier Pierre, dont les successeurs sont aujourd’hui les évêques avec à leur tête le pape, de le représenter, de manifester sa présence, d’agir en son Nom, d’agir pour Lui ; il a voulu être Lui-même agissant en eux. Tous nous sommes participants du gouvernement du Christ, mais les évêques, et avec eux les prêtres, sont là pour manifester ce gouvernement tant que le Christ n’est pas revenu dans la gloire, et qu’il n’est pas visible à nos yeux.
Nos églises de pierres, nos édifices religieux, nous permettent d’entrer dans ce mystère. Elles ont généralement la forme d’une barque, d’un bateau à l’envers avec leur nef central voûtée. Nous entrons dans l’Église par le baptême, et pour signifier cela beaucoup ont placé le baptistère à l’entrée des églises, à l’arrière. Puis vient la nef où nous prenons place, comme nous prenons place dans la barque de l’Église, pour participer à son périple, pour la faire avancer. Les confessionnaux des bas-côtés sont là pour désigner cette pérégrination dans l’histoire. Puis, avançant vers l’avant de l’Église, vers l’avant du bateau, nous trouvons le chœur, où la lecture de la Parole de Dieu que nous entendons depuis l’ambon nous désigne l’horizon de notre voyage, la route à suivre, celle de la Jérusalem céleste composée des anges et des saints. La Parole vient d’au-delà de ce monde pour nous éclairer. Elle est lue par le prêtre qui nous signifie le Christ nous guidant en ce monde. La Croix est aussi présente en ce lieu, comme la voile qui fait avancer le bateau, qui nous donne la force d’avancer et d’aimer. Mais toute l’église a généralement aussi la forme d’une Croix pour montrer que c’est dans la Pâques du Christ que se joue le mystère chrétien, que c’est là le mystère de l’Amour pleinement accompli qui nous rassemble autour de Dieu.
Puis, il y a l’autel où se joue le sacrifice vivant, le don du Christ à son Père qui emporte avec lui l’humanité entière. Le Christ s’y donne à chacun par sa présence réelle dans le Pain et le Vin pour nous établir comme fils de Dieu dans l’Amour, à la gloire du Père par le Fils dans l’Esprit. Il nous installe par là dans la communion des saints, en balayant dans le mouvement de son holocauste tous les péchés des hommes qui disparaissent à jamais. C’est là, dans le sacrifice eucharistique, dans ce mystère du Cœur de Jésus livré à la Croix, que se trouve la source et le sommet de tout ce qui est vécu en ces lieux. C’est là l’horizon qui nous permet de cheminer. C’est là le vrai phare qui nous éclaire et qui nous attire. C’est là la force qui nous aspire et nous entraîne de l’avant. C’est pour cela que l’autel est dans la liturgie le point le plus central, généralement placé le plus en avant.
Il est de bon ton que le prêtre s’efface à la table eucharistique devant le Christ, véritable et unique prêtre qui se rend présent dans le Pain et le Vin. Cela afin de manifester qu’il se situe lui aussi dans sa dépendance, et que ses paroles et ses gestes montrent en premier lieu la relation du Christ avec son Père qui est la plus fondamentale.
C’est pour cela que j’aime quand le prêtre célèbre la prière eucharistique en étant dans le même sens que le sont les fidèles, en se tournant lui aussi d’une manière manifeste vers la présence de Dieu pour s’effacer devant le Christ qui se rend présent, pour signifier que c’est Lui qui est notre véritable vis-à-vis, et pour montrer du même coup que le Christ s’adresse d’abord au Père avant de parler à son peuple. Le prêtre est là pour être et manifester le Christ au milieu de son peuple tant que celui-ce n’est pas visible, mais la liturgie nous amène à ce moment-là au Christ réellement présent sous les espèces eucharistiques. Le prêtre ne doit plus être alors qu’effacement devant Lui. Le mystère du Christ se vit dans la Trinité ; le prêtre doit nous conduire à voir la Trinité par les yeux de la foi, et non à en rester à sa propre personne.
Il me semble que le choix quasiment entièrement généralisé de célébrer en étant orienté vers les fidèles, en regardant vers l’arrière et non vers l’avant, est une concession faite à une époque où la métaphysique est défaillante, où l’on ne perçoit plus aisément la transcendance, le monde de la relation, et le sens de la chair. Si cela est arrivé, c’est que Dieu avait ses raisons. La liturgie a donné ce qu’elle avait besoin de donner à une époque donnée. Ce retournement du prêtre dans l’histoire, c’est finalement le Christ qui se retourne plein de compassion pour prévenir d’un danger : « Attention ! On ne peut aller plus loin sans une reprise en main par Dieu de l’histoire des hommes. Passage dangereux ! Il ne faut pas avancer avant que l’ordre ne soit donné. Il faut veiller et se préparer. ». Le Renouveau de l’Église que l’on voit poindre à l’horizon en cette aube du troisième millénaire ne pourra, je pense, que revisiter cette question pour aider davantage les fidèles à entrer dans le mystère qui est célébré, et dans ce que vit aujourd’hui l’Église. Autant je suis attaché à d’autres éléments de la réforme liturgique comme l’usage de la langue vernaculaire qui permet à tous d’entrer plus aisément dans le mystère célébré, et qui montre comment l’Évangile est appelé à pénétrer et à reprendre les diverses cultures ; autant je pense que revenir en partie à une orientation plus traditionnelle du prêtre permettra de retrouver davantage le sens du mystère et de la présence du Christ, et de rappeler que le prêtre n’est pas le Christ, n’est pas d’une race à part, n’est pas le centre de la liturgie, mais n’est simplement qu’un serviteur dans l’attente du retour de son maître.
Si le prêtre continue de regarder uniquement vers l’arrière, nous risquons d’oublier que la Barque de Pierre n’a pas fini sa course à travers l’histoire, d’oublier qu’elle doit encore avancer et progresser, d’oublier que le Christ a encore des choses à nous dire. Pour avancer vers la Jérusalem céleste, le prêtre ne doit pas regarder vers l’arrière, mais vers l’avant. C’est pourquoi nous suggérons de ne garder l’orientation du prêtre vers les fidèles que pour les temps liturgiques qui marquent un certain accomplissement du mystère de Dieu : le temps de Pâques et le temps de Noël. Nous suggérons de privilégier l’orientation du prêtre dans le même sens que les fidèles pour les temps de pénitence : l’Avent et le Carême. Et nous suggérons d’user en temps ordinaire de l’orientation qui convient le mieux à ce que l’on veut célébrer ou fêter. C’est peut-être cela l’avenir de cette question : garder le meilleur de ce qu’exprime chacune des deux manières de faire pour en user selon les besoins des temps et des lieux.