Les vertus cardinales sont la prudence, la justice, la tempérance et la force. D’elles découlent toute la vie morale de l’homme. Cette vie morale se veut comme un équilibre entre des extrêmes. En chaque chose, il nous faut composer entre divers comportements possibles pour être sur la crête d’une montagne et avancer vers le sommet. Se dessinent alors deux visages possibles de chacune des vertus, deux versants où l’on peut cheminer. La prudence est prudence ou entreprise. La justice est justice ou bienveillance. La tempérance est tempérance ou jouissance. La force est force ou tendresse.
Et l’on s’aperçoit que l’on gagne à considérer les vertus morales comme mariées, dans une dualité. Usant à chaque instant davantage de l’un ou de l’autre versant, nous avançons dans la durée d’une manière équilibrée. Une vie morale authentique accepte d’aller tantôt davantage d’un côté, tantôt davantage de l’autre, du moment que globalement la vie se déploie dans un cercle vertueux.
Notre monde a besoin d’entreprise, elle a besoin de personnes qui osent l’aventure de la vie. Notre monde a besoin de bienveillance, elle a besoin de personnes qui agissent pour le bien de leurs frères. Notre monde a besoin de jouissance, elle a besoin de personnes qui sachent trouver du plaisir dans les petites choses, qui sachent s’émerveiller. Notre monde a besoin de tendresse pour goûter concrètement la joie du vivre ensemble.
Notre monde a besoin de ce deuxième visage de la vertu. Le premier visage est celui qui nous est apparu le premier dans l’histoire de la pensée, car c’est le premier que l’on voit quand l’on s’intéresse à la vertu, c’est celui qui nous semble le plus nécessaire pour canaliser le flot de vie qui se répand dans le monde. Mais si l’on creuse, l’on tombe assez vite sur le deuxième visage qui caractérise aussi ce flot de vie. Nous avons vu dans notre article Le Don et la Vie ou dans notre document Hommes et Femmes dans le plan de Dieu que le masculin avait une affinité plus grande pour régler le don, et que la féminité en avait une plus grande pour s’occuper de la vie. Cette différence est à l’origine d’une plus grande affinité de la masculinité pour le premier visage et de la féminité pour le deuxième visage. Remarquons cependant que pour chaque vertu prise isolément les rôles peuvent être dans l’autre sens. Même si l’on note en général une plus grande affinité du féminin pour la tendresse et la bienveillance, et du masculin pour la justice et la force.
L’objet des vertus morales est l’homme lui-même. L’homme contient de par sa conjugalité une dimension duale qui fonde ces deux visages de la vertu. Un visage masculin et un visage féminin, le visage de Joseph et le visage de Marie. Prudence, Justice, Tempérance, Force. Entreprise, Bienveillance, Jouissance, Tendresse. Chacun de nous a besoin de ces deux visages de la vertu. Nous avons besoin de Joseph et de Marie. Et cette dualité vient s’unifier dans l’Enfant-Jésus venu réconcilier le masculin et le féminin.
Cette dualité nous montre que nous ne pouvons nous réaliser tout seul. Pour cheminer vers la perfection, pour trouver notre unité, nous avons besoin de la conjugalité et de la dimension surnaturelle. C’est la foi, l’espérance et la charité, et ultimement la charité seule, qui unifie notre vie morale. Et c’est dans le dialogue avec l’autre, l’époux, l’épouse, ou plus largement avec l’autre sexe, que se trouve la perfection de l’agir moral.
Les vertus théologales, quant à elle, ne sont pas duales. De fait, leur objet est Dieu qui est Un.
Les vertus spéculatives et la vertu d’art ne sont pas non plus duales, car leur objet est le réel qui est un.
Le mystère de la conjugalité, même s’il est vécu uniquement dans le mystère des noces de l’Agneau et non pas dans un mariage de la Terre, nous permet d’entrer dans la compréhension de la dualité des vertus morales. Dans chaque couple se dessinent deux compositions différentes et complémentaires de ces vertus. Le grand nombre des vertus morales offre des possibilités extrêmement variées quant à leur répartition. Chacun est comme responsable pour le couple de l’attention portée à son visage particulier de la vertu. Et chacun est appelé à apprendre de son conjoint et à agir aussi selon son mode à lui en s’appuyant sur lui, en s’appuyant sur sa spiritualité. Cela ouvre sur des relations conjugales riches et intéressantes : les différences de points de vue permettent des dialogues où chacun exprime pour l’autre ce qu’il est et où l’on trouve ensemble, à deux, le comportement approprié. Et ce que nous disons ici du couple est vrai plus largement dans la polarité de la différence des sexes.
Et c’est l’Esprit qui ultimement nous est donné en plénitude pour ajuster dans toute la communauté chrétienne, par tous les visages masculins et féminins, l’agir du Christ Total qu’est l’Église. C’est un mystère où l’on ose ensemble l’aventure de la vie, par la charité et avec un savant alliage de prudence et d’entreprise comme vertu morale principale.
C’est la vie qui jaillit en abondance depuis la Croix du Christ, et qui se répand dans la monde dans cet équilibre dual grâce à Marie et Joseph, et grâce à chacun de nous.
En parlant de la Croix, notons que l’Église n’est pas doloriste. Elle aime la Croix, car c’est là que le mal qui produit la douleur est transformé en amour grâce à la surabondance d’amour venu de Dieu. L’Église n’aime pas la douleur. La douleur vient du mal. Toute douleur vient de près ou de loin d’un refus d’aimer, posé par soi-même ou par un autre. Mais celui qui aime accepte de chercher le bien de l’autre, de chercher à le sortir de son mal pour le mener vers le bien. Il accepte de prendre sur lui son refus d’aimer pour y mettre à la place le choix de l’amour, le choix du bien ; pour le restaurer dans la justice ; pour y mettre la vie divine. C’est pour cela que celui qui aime, et qui élargit son cœur pour être en communion avec tous, est confronté inévitablement à la souffrance pour contribuer à mener ce monde vers le paradis.
L’Église, par contre, aime la jouissance. C’est la jouissance en Dieu qu’elle nous promet pour l’éternité. C’est la jouissance qu’elle nous offre dès cette Terre si l’on entre dans le mystère de l’amour. Car l’amour ne conduit pas seulement à la souffrance venue des refus d’aimer. Elle conduit surtout à la joie du don, au plaisir de l’union des vies. Le mystère chrétien ne s’arrête pas à la Croix, il va jusqu’à la Résurrection que nous sommes appelés à vivre en Jésus-Christ dès cette Terre. Ce sont les deux ensembles. Et l’horizon vers lequel nous cheminons est celui du Ciel, où toute souffrance aura disparu.
Prudence et entreprise.
Justice et bienveillance.
Tempérance et jouissance.
Force et tendresse.
Chaque vertu morale a deux visages… Une société ne s’équilibre vraiment que lorsque l’on apprend à concilier ces dualités. Beaucoup de nos divisions et incompréhensions viennent bien souvent du fait que nous n’avons perçu que l’un ou l’autre visage. Beaucoup de nos manquements à une vie authentiquement vécue personnellement ou collectivement vient de notre négligence sur l’un ou l’autre de ces visages. Alors, travaillons ensemble à percevoir chacun des visages dans ce qu’ils sont en propre. Apprenons chacun, de par notre masculinité ou notre féminité, notre polarité dans cette dualité. Et trouvons des lieux pour nous exercer à les concilier dans une alliance harmonieuse.
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