Chemin spirituel

L’ancienne Cité de Jérusalem

Sur cette Terre, nous sommes en chemin vers Dieu. C’est un cri de l’âme qu’il faut avoir et cultiver : Je veux voir Dieu, je veux vivre avec Dieu. C’est là que se trouve le vrai bonheur : dans ce chemin. Il faut l’emprunter pour arriver à la joie parfaite. Ce chemin a été décrit par les écoles de spiritualité. Nous allons tâcher ici d’en présenter une synthèse, un résumé, assez succinctement. La description des sept premières demeures est reprise de sainte Thérèse d’Avila (cf. Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus, Je veux voir Dieu). La suite vient de réflexions plus récentes où il est apparu à beaucoup qu’il y avait besoin d’un complément (en particulier suite à la vie mystique de Mère Teresa).

Pour bien comprendre ce chemin, il faut avoir en vue une juste anthropologie. L’homme est un être spirituel qui vit sa spiritualité dans la matière. Il est donc un corps, un composé d’une âme et de matière. Son âme, spirituelle, lui permet d’être un esprit ouvert sur le monde de Dieu, mais aussi sur celui des anges, et celui de la spiritualité des autres êtres humains. Par sa matière, il est ouvert au monde sensible des animaux, des végétaux et de tout l’univers matériel. Il voit les autres corps. Il perçoit cette matière et cela suscite en lui des mouvements charnels et spirituels. Il est en contact avec les autres esprits, et cela suscite en lui des mouvements spirituels et charnels. Il a sa propre activité, spirituelle et charnelle.

Par son corps, il a cinq sens externes qui l’ouvrent sur le sensible, et quatre sens internes (sens commun, imagination, cogitative, mémoire) pour vivre sa sensibilité. Il a ainsi des passions, des émotions, des sentiments ; il ressent plaisir ou souffrance, attraction ou répulsion. Ce sont les douze passions du concupiscible et de l’irascible. Nous les avons détaillé dans notre article La douzième passion.

Par son âme, il a quatre facultés spirituelles. C’est la connaissance qui lui permet de s’unir dans la vie aux êtres qu’il rencontre. C’est l’intelligence qui lui permet de percevoir les essences. C’est la mémoire, liée à l’intelligence, qui lui permet de garder le souvenir de ce qu’il a connu et intelligé. C’est la volonté qui lui permet de porter le dynamisme de ses facultés vers leur accomplissement. La connaissance lui procure une sensation spirituelle, consciente ou non, qui est un toucher de l’être, un goût de la vie et un odorat du don. Le toucher de l’être lui procure plénitude ou déréliction selon que l’on a affaire à un bien ou à un mal. Le goût de la vie, paix ou angoisse. L’odorat du don, joie ou tristesse. L’intelligence lui donne une vision des essences qui est une vue de celles-ci en tant qu’elles caractérisent l’être, et une ouïe de celles-ci en tant qu’elles orientent l’existence.

La sensation spirituelle lui donne des passions spirituelles, au nombre de douze comme celles du sensible, et avec une grande richesse, en particulier car le plaisir spirituel a trois composantes comme nous l’avons vu plus haut : plénitude, paix et joie ; et la souffrance spirituelle est déréliction, angoisse et tristesse. Les sensations spirituelles et sensibles avancent de concert pour que se déploient les passions de l’homme qui sont spirituelles et sensibles.

Un être doté d’une sensibilité matérielle est orienté et finalisé dans ses opérations selon le dynamisme de vie de son espèce et du cosmos. Il en est ainsi pour les animaux : c’est leur mode de décisions le plus fondamental qu’ils vivent au travers de la richesse des passions sensibles. Le monde spirituel est orienté et finalisé selon le mystère de la vie et de l’amour, qui est au final le Dieu Trinité. Cela se fait au travers de la connaissance et de l’intelligence qui perçoivent ce mystère, et de la volonté qui permet aux êtres spirituels de se mettre en mouvement vers ce mystère.

Nous autres en grandissant ouvrons nos yeux à l’existence, sensiblement et spirituellement. Nous percevons le mystère de la vie et de l’amour, et il nous est donné de nous décider pour entrer dans ce mystère, de le servir, de le connaître davantage. Cela nous conduit à emprunter un chemin spirituel, plus ou moins conscient, jusqu’à Dieu. Au cœur de ce mystère, il y a le Christ qui nous manifeste, par son humanité, la vie et l’amour. Il est présent à chacun, explicitement pour les chrétiens qui sont attentifs à lui, et implicitement pour ceux qui ne le savent pas.

La rencontre avec ce profond mystère de vie et d’amour, et la première détermination pour celui-ci, avec le choix de fuir ce qui conduit à la mort et à la haine, nous fait entrer dans ce que l’on appelle le château intérieur, dans les premières demeures. Nos yeux s’y ouvrent au monde spirituel. C’est une grande découverte. Mais il s’agit surtout du monde spirituel humain. À ce moment-là, la grâce nous travaille pour que nous nous mettions en route plus avant, que nous corrigions notre vie.

Cela nous mène dans les deuxièmes demeures où il nous faut exercer notre volonté dans le service de ce mystère. Cela se fait au travers de la pratique des vertus. Nous sommes conduits à élever notre regard vers un monde spirituel plus vaste avec l’aide des anges de la troisième hiérarchie, ceux qui agissent dans le monde des hommes. Allons-nous décider de suivre les inclinaisons que Dieu dépose en nous, oui ou non ? Allons-nous lui faire confiance pour notre bonheur, oui ou non ? Allons-nous prendre le chemin qui conduit à un amour vrai et authentique, oui ou non ? Qui voulons-nous vraiment servir : Dieu, ou l’argent, ou les plaisirs, ou la gloire, ou le diable ? Nous sommes donc surtout purifiés dans notre volonté. Nous sommes amenés à corriger notre vie.

Quand ce combat a été mené, et que l’on a trouvé une certaine aisance dans la pratique de la vie vertueuse, c’est que l’on a pénétré dans les troisièmes demeures. Et ici, cette phrase de l’Évangile est pour nous : « C’est bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton maître. » (Mt 25, 23). Nous sommes désormais un homme de bien, un homme de bonne volonté. C’est cette volonté, entraînée à aller vers le bien, qui va ensuite nous mener plus avant pour continuer le chemin qui mène à Dieu.

Cela se fait dans les quatrièmes demeures où Dieu décide d’intervenir pour que notre vie ne soit plus à mesure humaine, mais à mesure divine. Pour cela, il se sert des dons de son Esprit-Saint. Il nous habitue à vivre de ces dons. Il nous conduit à rechercher plus d’intimité avec Lui, plus de solitude. Il nous apprend à nous abandonner entièrement à Lui. Les anges de la deuxième hiérarchie, ceux qui servent de messagers entre le Ciel et la Terre, nous aident dans ce chemin. Nous sommes amenés à quitter ce qui n’a que les dimensions du monde sensible, pour aller vers la grandeur du monde spirituel. Cela provoque ce que l’on appelle une nuit des sens, dont le lieu principal de purification est notre vie sensible qui ne semble plus goûter d’attrait pour les choses de Dieu.

Quand nous sommes pleinement portés à chercher dans les réalités célestes le sens et le fondement de notre existence, c’est que nous nous sommes installés dans les cinquièmes demeures. Nous vivons alors sous les motions de l’Esprit-Saint. Nous cherchons la Volonté divine, et nous la faisons. Nous sommes vraiment des hommes religieux. C’est le moment où nous commençons à réaliser des œuvres qui en valent la peine. C’est aussi le moment où Dieu se fait davantage connaître à nous. Il se fiance à nous. Il nous promet un bonheur immense si nous nous livrons à lui sans mesure.

Cela nous conduit à préparer nos noces avec le Dieu d’Amour. C’est comme une chenille qui prépare son nid pour y mourir et devenir un papillon. Même si notre vie spirituelle profite au monde extérieur, nous voulons encore plus. Nous voulons que notre vie soit l’œuvre de Dieu. Que nos pensées soient ses pensées. Que nos actions soient ses actions. Et pour cela nous sommes prêts à mourir d’amour. Retentit alors à nos oreilles cette parole : « Grain de blé qui tombe en terre, si tu ne meures pas, tu resteras solitaire, ne germeras pas. » Et ce sont les béatitudes qui nous parlent, qui nous interpellent, qui se gravent dans notre cœur. Dieu nous conduit plus loin, plus avant ; Il nous mène vers le mariage spirituel. Les anges de la première hiérarchie, ceux qui n’ont d’autres fonctions que de louer le Seigneur, nous aident en cela. Cela provoque une nuit, la nuit de l’esprit, pour que notre âme s’ajuste à ce qu’est Dieu. Cette purification a sa dominante dans l’intelligence qui ne semble plus voir que la nuit. Ce sont les sixièmes demeures.

Jusqu’à ce qu’un jour, au bout du chemin, en arrivant aux tréfonds de notre âme, au lieu le plus intime, les noces soient scellées, la vie de Dieu fasse irruption, sa Lumière nous envahisse. Nous goûtons alors quelque chose de nouveau, d’inattendu. L’Esprit de Dieu nous saisit, il fait irruption en nous. Il y a une Alliance au cœur de notre être qui fait que la vie de Dieu et notre vie avancent ensemble dans une grande unité. C’est l’union transformante. Nous sommes alors vraiment des spirituels, vivant de l’esprit des béatitudes. Cela s’accompagne d’une mission, d’une responsabilité, de quelque chose qu’il nous est donné d’apporter au monde. Cela peut être très simple ou plus grandiose, cela n’a pas d’importance. Mais c’est une coloration d’âme et une manière de vivre la spiritualité qui ne demande qu’à se répandre dans le monde au travers de notre cœur transpercé. Ce sont les septièmes demeures.

Les noces ont été scellées, il faut maintenant les consommer. La vie de Dieu nous entraîne irrésistiblement vers le mystère de Pâques, vers la Passion et la Résurrection, vers Gethsémani et le Golgotha. Nous voulons donner le salut de Dieu au monde. Nous voulons vivre la Croix. Et de fait, des torrents de haine et de désespoir s’abattent sur notre cœur. Nous nous mettons à ressentir tristesse et angoisse. Nous avons des sentiments de damnation. C’est une nuit de la foi dont l’exemple le plus connu est celui de Mère Teresa de Calcutta qui l’a vécu très longtemps et à l’extrême. C’est une souffrance qui se joue principalement au niveau de la connaissance, de la sensation spirituelle. Mais il y a une vie très peu perceptible qui nous porte du plus profond de notre cœur, là où les noces ont été scellées, vers plus d’amour, vers plus de don, vers une union à Dieu toujours plus grande. Ce sont les huitième demeures, où au-delà des anges, ou plutôt avec l’aide de tous les anges, c’est Dieu dans tout ce qu’il est qui devient pleinement notre horizon. Là, l’âme pousse le cri du Crucifié : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Et elles portent un fruit infini pour le monde.

Et un jour, le jour le plus béni parmi tous les jours pour celui qui a vécu cela, l’aube de la Résurrection arrive. Notre âme la désirait dans une vive douleur, mais nous avions l’impression de ne même plus l’attendre. La joie, la paix et la lumière ont percé. Les ténèbres se sont tus, elles ont été vaincus. Une sorte d’unité et d’onction envahit progressivement tout l’être. C’est une effusion de l’Esprit-Saint, une effusion d’amour. Les souffrances existent encore, mais elles ne sont plus rien devant l’atmosphère de douceur et de tendresse qui ne quittent plus l’âme. C’est le matin de l’âme. C’est l’aurore. C’est l’accomplissement des promesses. Ce sont les neuvièmes demeures, celles dont parlent saint Jean de la Croix dans son Cantique spirituelle. L’âme y est profondément marquée par le mystère pascal, par la Croix glorieuse, lumineuse et vivifiante. Le Christ repose en elle comme un enfant dans un berceau ; et elle repose sur le Christ comme un enfant dans un berceau. Dans cette âme, il n’y a plus d’orgueil, seulement ses conséquences. L’âme est vraiment humble, comme le disait Thérèse de l’Enfant-Jésus d’elle-même à la fin de sa vie. L’âme a mené le bon combat, la couronne lui est promise, comme le disait saint Paul. Car, quand les noces ont été scellées et consommées, Dieu retire à l’âme la capacité de déchoir. La personne est confirmée en grâce. Son salut est certain. Qu’elle le sache ou qu’elle ne le sache pas, cela n’a pas d’importance ; elle n’est d’ailleurs plus capable de s’en glorifier. Elle ne cherche qu’à servir et qu’à aimer. Elle est libre. Elle peut s’adonner à toute sorte de choses, se promener dans le vaste monde ou rester dans des lieux reculés, son cœur est avec Dieu, son cœur est avec les autres, cela suffit. Elle apporte une paix, une joie, une unité là où elle passe. Cela n’empêche pas des tensions et des imperfections, cela n’empêche pas des souffrances et des erreurs, cela n’empêche pas non plus certains péchés, mais en cela l’amour est toujours vainqueur. Une telle personne est véritablement apôtre de l’Amour. Elle est à proprement parler un saint, une sainte.

C’est le chemin de l’âme, le fil rouge de toute vie. C’est le secret de l’existence, ce qui fait une vie réussie. Ce n’est pas un chemin grandiose ou inaccessible, mais pour celui qui le vit avec sérieux, c’est quelque chose d’extraordinaire, de beau et de lumineux. Dieu nous aime, faisons-lui confiance, il a prévu pour nous dès cette Terre une joie immense.

L’important, c’est de suivre ce chemin. Il n’y a pas à se soucier du jour où Dieu viendra nous prendre pour nous mener au Ciel, ce qu’il faut c’est aimer, c’est vouloir mourir d’amour et être un saint. Si nous avons ce désir, Dieu fera le reste, Dieu fera que quoi qu’il arrive notre vie servira au salut du monde. Et nous serons heureux.

Il est intéressant de noter aussi qu’il y a une analogie entre ce chemin de l’âme, et celui que prend notre monde, ou certaines de nos communautés. Pour eux, il y a un chemin qui mène à l’Alliance avec Dieu, à Pâques, au fait de rayonner après l’épreuve d’une vie renouvelée.

Il faut aussi remarquer que chaque étape nous conduit à jeter un regard particulier sur notre monde ou sur l’Église. Les trois premières demeures nous conduisent à voir davantage les œuvres temporelles. Les deux suivantes, les activités apostoliques, celles où, sous l’action de l’Esprit-Saint, l’on cherche à évangéliser le monde. Les sixièmes et septièmes demeures nous font percevoir la vie intérieure et contemplative qui porte le monde d’une manière mystérieuse. Et les deux dernières nous amènent à regarder le monde d’une manière unifiée, à voir chaque chose à sa juste place.

Il est également intéressant de regarder les courants de pensées, les spiritualités, les théologies, et de se demander où est-ce qu’elles en sont quant à ces étapes. L’on va ainsi d’une sagesse philosophique, à une sagesse théologique, puis à une sagesse mystique, et enfin à une sagesse unifiée.

Quant au monde d’aujourd’hui, s’il s’agit de le situer sur son chemin, il apparaît qu’il en est à la fin des huitième demeures, à la fin d’un long Gethsémani, d’un long Samedi Saint. L’aube de la Résurrection est en train de poindre à l’horizon. C’est un salut qu’il ne semble parfois même plus espéré, mais qui pourtant va venir. Ce sera quelque chose de profondément nouveau, pour certains entièrement inattendu, et pour d’autres comme l’accomplissement d’anciennes promesses. Ce sera une unité et une onction qui sera donnée, une effusion de l’Esprit telle qu’il ne semblera y en avoir jamais eu. Ce sera une civilisation d’amour qui va éclore et qui aura les promesses de ne plus pouvoir défaillir de son Alliance avec l’Éternel, comme la Vierge Marie à l’aube de la Résurrection. Même si, pour arriver jusque là, il faut que le cœur du monde soit transpercé.

Alors viens Seigneur Jésus, que ton Règne vienne. Donne-nous ton Esprit-Saint en abondance, et qu’il renouvelle toute chose. Et que se lèvent de nombreux apôtres de l’Amour qui auront scellé leurs noces avec Toi, et qui seront portés par Ta joie, pour évangéliser ce monde.

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