
Nous entendons souvent des critiques de la vie religieuse, ou des récits de personnes qui en sont sorties traumatisées, abîmées, manipulées. Ce n’est pas, heureusement, la majorité des cas, loin de là. Mais cela arrive quand même trop souvent. Et beaucoup ont encore des réactions d’incompréhension quand quelqu’un sort d’un monastère ou d’une communauté après plusieurs années. C’est que le monde d’aujourd’hui ne nous donne pas facilement tous les éléments pour entrer dans cette voie-là et y vivre une vie équilibrée.
De nombreuses réformes sont en cours, heureusement. Car, nous avons besoin plus que jamais de la vie religieuse, pour que les grâces de Dieu puissent se répandre dans le monde. Ce ne sont pas de vains mots. Dieu a voulu que les états de vie religieux soient des canaux pour répandre ses dons, même si les personnes ne sont pas toutes saintes, et même s’il ne faut pas mettre sur un piédestal ceux qui ont choisi cette voie-là. Dieu a voulu se servir des sacrements. De la même manière, il veut se servir des moines, des religieux, et des contemplatifs en tout genre.
S’il y a une réforme à préconiser ou à encourager, elle serait selon nous déjà de considérer qu’il est normal de passer une ou plusieurs années dans la vie religieuse, quelle qu’elle soit, avant de repartir dans le monde. Nous avons besoin dans le monde d’apôtres au cœur de feu, qui aient goûté dans un monastère ou dans une spiritualité des choses que l’on ne peut pas trouver ailleurs. L’exigence de notre temps demande cela. Ainsi, quelqu’un qui entre au monastère ou dans un institut doit avoir à l’idée qu’il est là soit pour quelques mois ou années, afin de s’enraciner avec Jésus et se former pour évangéliser ensuite le monde ; ou soit pour rester définitivement dans ce lieu en se liant par des vœux définitifs si la vocation se confirme. Dans les deux cas, ce sera pour lui un chemin voulu par Dieu, et non un échec ou une erreur. Les monastères ont tout intérêt à accueillir largement les jeunes qui se présentent, et les orienter dans ces deux perspectives. Pour le service de l’Église, et non celui de leur propre communauté.
Une autre réforme, selon nous, serait de demander à toute personne n’ayant pas fait de vœux définitifs de passer au moins deux semaines continues par année dans sa famille, ou à défaut dans une famille amie. Cela afin de ne pas perdre de vue que la famille est un lieu de sainteté voulu par Dieu. Et afin de faciliter un choix libre de toute contrainte ; pour contribuer à ce que ceux qui aillent jusqu’au vœux définitifs aient vraiment la vocation à y rester pour toute leur vie, et aient trouvé un équilibre suffisant. Il ne faut pas perdre de vue que le monde d’aujourd’hui a perdu en qualité quant au tissu social et familial, et qu’un jeune qui se présente à besoin d’être guéri d’un certain nombre de choses, et de grandir encore en maturité sur certains points, ce qui ne peut se faire qu’avec un lien concret encore gardé avec la réalité de la famille. Par ailleurs, la famille reste un rempart efficace contre les idéologies et déviances en tout genre, que l’on rencontre dans le monde, mais qui peuvent aussi germer dans la vie religieuse. Et je dirai même que durant ce séjour annuel, il vaudrait mieux que le jeune soit en habits tout à fait normaux et non en habit religieux. Pour ne pas y prendre la posture du religieux, alors que ce n’est pas le but de ces séjours. Bien sûr, les choses seront différentes une fois les vœux définitifs prononcés ; et ces séjours annuels ne doivent alors plus être exigés.
Ce sont là des moyens qui me semblent nécessaires pour un authentique renouveau de la vie religieuse, et par là du monde. Bien sûr, certains monastères, en dépit des défauts inévitables de tout groupe humain, sont encore capables d’un renouveau… D’autres ne le sont pas. Il faut savoir faire preuve de discernement, et s’appuyer sur les lieux où l’on constate que la vie est pleine d’espérance, et laisser les morts enterrer leurs morts.
Nous croyons que l’enjeu de la période actuelle est de remplir les monastères. Il faut mener le combat spirituel, et restaurer ce monde de l’intérieur ; et ce n’est qu’après qu’il y aura un vrai renouveau dans les structures de l’Église, et dans les réalités temporelles. Alors recherchons les réalités d’en haut ! (Col 3, 1) Et écoutons le Bien-Aimé qui nous appelle au désert pour vivre avec Lui un mystère d’amour qui nous mène vers la Terre Promise. Le Père cherche des adorateurs ! Et c’est dans l’enracinement des promesses de l’Évangile, rappelées encore aujourd’hui par le Seigneur, que pourra naître un monde renouvelé.
La génération avant nous a cru au paradis terrestre. Elle a pensé trouver toute sa joie et toute sa vie dans les choses d’ici-bas. Ce fut un échec. Et aujourd’hui, c’est cette même génération qui refuse de mourir, et prend en otage les jeunes générations pour essayer désespérément de retarder le moment fatidique.
La vie religieuse, quant à elle, fait signe vers le paradis céleste, vers le Royaume de Dieu qui existe au-delà de notre monde, et qui veut faire irruption dans notre monde. Les anciennes générations ont parfois eu tendance à confondre le signe avec la réalité. Ce fut un désastre… On connaît le proverbe : Quand le sage désigne la Lune, le sot regarde le doigt… La vie religieuse fait signe vers le monde d’en-haut, qui est déjà présent d’une manière voilée. Mais la vie religieuse n’est pas le monde d’en-haut. Et les manières de faire de la vie religieuse ne disent pas ce que sont les manières de faire du Royaume : elles sont seulement un signe de cette vie, comme le doigt l’est de la Lune. C’est ainsi qu’il faut percevoir l’obéissance, la pauvreté et la chasteté au sens religieux. Il ne faut pas les absolutiser, et les propager au-delà de ce qu’ils sont : ils sont des signes vers l’union à Dieu. Et la vie du Royaume, dans l’union à Dieu et à sa Volonté, est pleine de liberté, de richesses et d’affection.
« Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas votre cœur comme au temps du défi… » (He 3, 15).
Un commentaire sur “Réformer la vie religieuse”