« Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement. » (Ap 12, 1-2)
À la septième trompette du livre de l’Apocalypse apparaît dans le ciel un signe grandiose : une Femme ! Il est bon de nous replacer dans cette vision alors que nous entrons dans l’Avent, et que nous allons bientôt fêter l’Immaculée Conception. Les interprétations traditionnelles voient dans cette femme l’Église et la Vierge Marie. De fait, les visions ont en général plusieurs sens. La Vierge Marie par l’Esprit-Saint a enfanté le Christ, et l’enfante dans le cœur des croyants formant ainsi l’Église. L’Église par les sacrements et l’accueil de l’Esprit-Saint enfante le Christ dans le cœur des fidèles.
Dans ce chapitre 12 de l’Apocalypse, nous nous situons dans le temps de l’Église, dans son chemin à travers l’histoire. Cet enfantement est celui de la venue du Christ dans les âmes des fidèles. Le Christ vient comme un enfant en nous, et il compte sur nous pour l’enfanter dans le monde. Membres de l’Église, nous sommes le lieu de cet enfantement, et il nous faut travailler à cet enfantement. C’est une folie d’amour. Pour ceux qui méconnaissent la bonté de Dieu, c’est un scandale. Peur ceux qui réduisent la spiritualité dans les limites de la raison humaine, c’est une folie tout court.
C’est le mystère de l’union de l’humain et du divin. Le Sacré-Cœur est un mystère qui le manifeste. Et c’est ce qui se vit à la messe : le Christ vient un nous par l’Eucharistie où nous recevons son Corps et son Âme, son Humanité et sa Divinité. Le Christ vient habiter en nous. Il est l’Enfant-Dieu qui s’enfante en nous par l’Esprit-Saint. Il est l’Agneau livré entre nos mains. C’est un mystère spirituel et charnel. Et c’est ainsi qu’il constitue son Corps qu’est l’Église, et qu’il nous entraîne dans le mystère de la Trinité.
Parmi les quelques grandes spiritualités de l’Église, celle qui nous semble le plus manifester l’union de l’humain et du divin est l’École française de spiritualité, qui a pris son essor au XVIIème siècle et dont les grandes figures sont Jean-Jacques Olier, Pierre de Bérulle, saint Jean Eudes, saint Louis-Marie Grignon de Montfort, et quelques autres. Un ouvrage remarquable de cette école est l’Abandon à la divine providence du Père de Caussade. Cette école de spiritualité est un joyau : elle a le sens de l’Incarnation et de l’union à Dieu. On y perçoit une vie vécue aux dimensions de Dieu tout en étant très incarnée et concrète. On y trouve une réelle union entre la volonté de l’homme et celle de Dieu, sans qu’il y ait d’opposition.
Ce que l’on souligne ici de l’École française de spiritualité est exactement ce que la modernité a refusé, a opposé, n’a pas compris, et n’a pas réussi à vivre. Pour la modernité, la volonté de Dieu et celle de l’homme s’opposent : il n’y a pas de liberté en s’abandonnant à Dieu. Pour la modernité, la spiritualité de l’homme et celle de Dieu soit sont opposées et irréconciliables, soit sont confondues en faisant que Dieu soit l’humanité, ou que l’humanité soit Dieu. Pour la modernité, le concret et le charnel ne signifient rien de spirituel ; le spirituel ne se manifeste pas dans la matière, ne se rend pas présent par des signes. Ou alors, tout simplement, le spirituel n’existe pas ; à moins que ce soit la matière elle-même qui soit spirituelle.
Le Diable ne veut pas de l’Incarnation, de cette union entre l’humain et le divin, entre l’Esprit et la matière. Et l’on constate qu’il s’est acharné à détruire l’École française de spiritualité, et plus largement à détruire la France qui a une mission toute particulière pour manifester et défendre ce mystère.
« Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d’un diadème. Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né. Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer ; et son enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône, tandis que la femme s’enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu’elle soit nourrie mille deux cent soixante jours. » (Ap 12, 3-6)
Alors que le ventre des femmes a pour vocation d’accueillir l’Enfant-Dieu dans l’éternité, et les nouvelles vies humaines ici-bas, voilà que le Satan a suggéré que l’on pouvait y tuer la vie naissante par l’avortement. Cela se compte en nombre effroyable. Des dizaines de millions chaque année, des milliards au cours des dernières décennies. Ce qui est appelé à être le sanctuaire de la Vie est devenu un lieu de mort, un autel du diable.
C’est la perversion du féminin. Le démon responsable de cela est Asmodée, le chérubin renégat instigateur de la luxure et de la colère, dont le nom peut vouloir dire « exterminateur ». Le lien paraît assez clair entre ce démon et le communisme. Ce dernier rejette la notion d’intériorité et de spiritualité, dont la femme est plus particulièrement la gardienne. Et, par son amoralisme, il a beaucoup contribué à l’évolution des meurs, en particulier quant à l’avortement, que les soviétiques furent les premiers à légaliser. Les auteurs communistes ont écrit que pour anéantir la force de résistance des populations, il était opportun de les pousser à la luxure.
Asmodée va chercher à singer la Femme de l’Apocalypse, et à la détruire. L’ange qui nous protège d’Asmodée est saint Raphaël, comme nous pouvons le voir dans le livre de Tobie. Raphaël veut dire « Dieu guérit » ; il est selon la liturgie le médecin et le guide. Le poisson dont il se sert dans la Bible pour guérir le vieux Tobit et chasser Asmodée est bien sûr le Christ, et plus particulièrement l’Eucharistie.
Bien sûr, l’ange que l’on voit intervenir dans la verset d’après dans l’Apocalypse est saint Michel. Mais il est dit qu’il combat le Dragon avec ses anges. Et autant Michel est préposé au combat contre Satan, autant Raphaël est préposé au combat contre Asmodée. La Bible, en particulier avec les quatre bêtes de Daniel (au chapitre 7) ou les quatre cavaliers de l’Apocalypse (au chapitre 6), suggère que Satan, le Séraphin renégat, est assisté de trois Chérubins pervertis. Asmodée est l’un d’eux. Et cela suggère aussi que la tradition des quatre archanges, qui ajoute Uriel à Michel, Gabriel et Raphaël a sûrement une grande légitimité. Car chacun de ces petits archanges est préposé au combat contre l’un de ces grands esprits démoniaques. Car le chiffre quatre appartient à la liturgie angélique, comme on le voit avec les quatre vivants (Ap 4, 6).
Pour revenir à notre sujet, l’avortement nous a fait perdre le sens de la vie et de sa dignité, nous a anémiés et nous a rendus hostiles les uns aux autres. Mère Teresa disait que la cause des guerres actuelles était l’avortement. Aujourd’hui, des sectes sataniques ou maçonniques pratiquent des sacrifices d’enfants dans nos villes européennes. C’est une réalité dont nous-mêmes avons eu écho. Comment pourrait-il en être autrement, quand dans les hôpitaux l’on tue des enfants, parfois jusqu’à la naissance ou même après le naissance ? Les portes de l’enfer sont aujourd’hui grandes ouvertes, et les démons se répandent dans le monde.
Le mensonge et la corruption sont partout, comme le montre la crise actuelle dite sanitaire. Nous n’avons plus le sens de la dignité de l’homme, comme le montre la banalisation de l’euthanasie et l’autorisation de créer des chimères homme-animal. Nous avons perdu pied avec la réalité, en nous enfermant des des mondes virtuels et très artificiels. Nous sommes devenus fous.
Historiquement, ce qui a fait percevoir aux chrétiens la grande dignité de chaque personne humaine, c’est que Dieu lui-même, incarné en Jésus-Christ, vient habiter dans le cœur de chaque baptisé, et veut habiter dans chaque personne. Si Dieu lui-même veut s’unir à chacun de nous, alors c’est que chacun a un prix inestimable. C’est la même raison qui a contribué chez les premiers chrétiens à l’idée que chaque personne avait un ange gardien, et pas seulement les pays, groupes, églises, ministres, princes et prophètes. Ce qui a été forgé là dans le christianisme, c’est ensuite répandu dans le monde d’une manière laïcisée.
Mais, l’oubli ou le rejet de cette incarnation du Verbe en chacun de nous nous a conduits inexorablement vers l’abîme. Malgré toute notre bonne volonté et notre soit-disant sagesse humaine, loin de la vie divine qui veut venir naître en nous, nous nous sommes enfermés dans les ténèbres et nous nous sommes livrés au démon.
Le Verbe s’est fait chair ! Et il est venu habiter parmi nous ! Le Christ Ressuscité n’est pas un Dieu lointain, mais il vient dans nos cœurs, dans nos âmes, dans nos corps. Il est à nos côtés chaque jour de notre vie. Il vient vivre avec nous un mystère de noces. Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau ! Il faut demander à Dieu de vivre cette chaste jouissance des noces dans la sobre ivresse de l’Esprit-Saint. Il faut que ce soit Noël dans notre âme : un Enfant nous est né !
Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde va changer. Nous arrivons à la fin de quelque chose. L’affrontement entre l’Homme Impie et l’Épouse de l’Agneau semble de plus en plus inévitable. C’est la Croix qui se dresse à l’horizon. Alors, pour traverser l’épreuve, il nous faut ouvrir notre cœur à Jésus-Christ. Les Apôtres ont pu accueillir la Passion, parce qu’ils avaient vu la Transfiguration. Pour nous, c’est l’irruption du Christ dans nos âmes par l’Esprit-Saint, en particulier dans les sacrements, qui nous permet de traverser toutes les épreuves et d’arriver à la Résurrection, au renouveau que nous attendons.
Les germes de renouveau que l’on voit croître un peu partout dans l’Église depuis plusieurs décennies ne nous semblent être pour le moment que des promesses d’un futur printemps qui ne viendra qu’après l’hiver. La grande question qui devrait animer l’Église aujourd’hui, c’est comment accueillir avec foi et amour le martyr, comment vivre une grande Pâques : celle d’une Église et d’un monde en attente d’un renouveau. Comment suivre Jésus à la Croix pour arriver à la Résurrection ? Cette dernière étant en l’occurrence la civilisation de l’amour que nous appelons de nos vœux. Comment nous préparer à nos noces avec Dieu ?
Le monde moderne, en se détournant de l’Évangile et du christianisme, c’est détourner de la source de l’amour. Il ne peut aller que vers l’échec et l’horreur. Nous pouvons compenser ou retarder les problèmes sociaux, écologiques, politiques, sanitaires, moraux, etc. Sans l’Évangile et la grâce, nous ne les résoudrons pas. Certains aujourd’hui prétendent y remédier par des plans mondialistes et grâce à la puissance de la technique. Cela ne peut conduire qu’à l’échec et à une effroyable dictature, telle la Tour de Babel. Et cela s’oppose à l’Évangile qui est d’abord accueil du salut de Dieu, de sa vie, et qui conduit à la responsabilisation et à la participation de chacun dans un corps social, où certes il y a des jointures et des représentants, mais où ceux-ci ne peuvent s’accaparer un pouvoir sur ce que les personnes peuvent faire par elles-mêmes.
C’est après la septième trompette qu’a lieu le signe grandiose de la Femme. De fait, l’Apocalypse est scandé par sept sceaux, puis sept trompettes, puis sept coupes. Les sept sceaux sont l’ouverture du livre scellé par l’Agneau. Ils marquent le dévoilement du mystère de Dieu, l’entrée dans la foi. Même si cela accompagne toute la vie de l’Église, c’est le premier millénaire qui a été le plus marqué par ce mouvement. Les trompettes marquent la quête d’un renouveau promis par Dieu, une sorte d’espérance que ses promesses ne sont pas vaines. De fait, avec les sceaux se répandent aussi des démons dans le monde. La chrétienté qui est advenue est assaillie de toute part et semble de plus en plus sombrer. Elle finit même par s’écrouler. C’est là plus particulièrement le chemin du deuxième millénaire. Et cela s’achève donc par les combats eschatologiques contre le Dragon et les deux Bêtes, qui finissent visiblement par un grand renouveau. Puis, vient les sept coupes, comme des combats qui cherchent à détruire ce grand renouveau où s’exprime toute la charité du peuple de Dieu. Cela sera plus particulièrement l’œuvre de la civilisation de l’amour, de la nouvelle chrétienté qui ne peut qu’advenir après le Passion qui se dresse à l’horizon (voir à ce sujet le livre de Patrick de Laubier sur la Civilisation de l’Amour selon Paul VI).
Tout cela pour dire que le signe de la Femme nous invite à entrer dans le mystère chrétien pour renouveler notre intériorité. C’est une invitation à la contemplation pour nous laisser saisir par la joie des noces avec le Christ d’où pourra jaillir au travers du mystère pascal un renouveau qui ensuite passera dans les structures ecclésiales et temporelles du monde. Ce chemin semble bloqué par Asmodée, mais l’aide de saint Raphaël va nous permettre de passer, lui qui apporte la guérison et la lumière, dans un monde qui en a bien besoin. Saint Michel est à l’œuvre, et il est assisté par trois archanges qui ont chacun leur rôle à jouer : les deux autres se manifesteront avec les deux Bêtes qui se lèveront avant que le monde ne redevienne chrétien.
Le signe de la Femme qui enfante ne peut bien se comprendre que si l’on comprend la manière dont Jésus est venu, et dont se vit le mystère familial. Jésus est venu entre Marie et Joseph : c’est là qu’il est né et qu’il a grandi. S’il doit y avoir un signe grandiose dans le ciel du monde pour le renouveler, c’est bien celui de la Sainte Famille, car c’est là que l’Enfant-Dieu a été enfanté dans le cœur de son Épouse.
Pour celui qui entrera dans ce mystère, il est dit : “Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau” (Ap, 19, 9).