Il ne s’agit pas ici de parler des quatre mystères du rosaire, mais des quatre mystères de la vie chrétienne : création, sanctification, rédemption, glorification. Notons au passage en parlant du rosaire que la création est plutôt un mystère joyeux, la sanctification un mystère lumineux, la rédemption un mystère douloureux et la glorification un mystère glorieux.
On constate que chaque personne est plus ou moins sensible à l’un ou l’autre de ces quatre mystères aux différents moments de sa vie, et que des époques et zones géographiques ont leur dominante davantage dans l’un ou dans l’autre. Or, toute vie chrétienne équilibrée demande de prendre en compte ces quatre mystères.
Quelqu’un de plus sensible à la création va nous parler d’épanouissement et de projets. Quelqu’un de plus sensible à la sanctification va nous parler des grâces reçues et à recevoir. Quelqu’un de plus sensible à la rédemption va nous parler de notre condition de pécheurs, des combats eschatologiques et va travailler à vider le purgatoire. Quelqu’un de plus sensible à la glorification va nous parler de ses fréquentations de la cour céleste (Trinité, anges, saints) et des splendeurs du paradis où il faut désirer aller.
La création, ce sont toutes ces réalités que Dieu a créé avec une consistance propre. Nous avons des facultés dont nous pouvons user. Il ne faut pas les négliger, car Dieu ne vient pas détruire la nature, mais la guérir et la surélever. Car l’on ne construit pas du surnaturel solide sur une nature tordue. Car Dieu a fait toutes ces réalités par amour, et pour qu’elles chantent sa gloire en vivant leur vie en plénitude.
La sanctification, c’est l’irruption de la vie divine dans nos vies. Par l’Incarnation, Dieu nous donne ses grâces. La Trinité vient habiter en nous. Il nous faut accueillir Jésus-Christ et son Esprit-Saint pour entrer dans le mystère du Père. Nous ne vivons plus seulement une vie de créatures, mais nous sommes unis à Dieu. Nous vivons de sa propre vie. Ce que nous sommes se trouve surélevé pour atteindre la dimension de Dieu. C’est un grand mystère, un mystère de noces entre Dieu et sa créature.
La rédemption est la guérison du péché, la réconciliation avec Dieu alors que nous en avions été séparés. Rédemption et sanctification se font dans un même mouvement, elles sont unies, mais elles ne désignent pas la même chose, et la sanctification nous porte plus loin. Pour la rédemption, il convient de nous reconnaître pêcheurs et de voir que l’on a contribué à blesser notre Seigneur, ce qui peut être assez douloureux. Mais c’est alors une telle joie d’accueillir le salut qui vient de Dieu. « Seigneur Jésus, fils du Dieu vivant, prends pitié de moi pécheur », aime-t-on répéter en Orient. La rédemption vient mettre fin au règne du Prince des Ténèbres pour nous placer sous la Seigneurie du Christ. Notons également que la sanctification et la rédemption ne sont pas seulement pour nous-mêmes, mais pour l’humanité. De fait, il n’existe pas de grâces que nous puissions accueillir que pour nous : toute grâce accueillie se répand toujours au-delà de nous sur d’autres personnes.
La glorification, c’est le déploiement de la vie du Royaume dans sa pleine mesure. Pleinement unis à Jésus et à la Trinité, nous vivons notre vie dans la vie de Dieu, en union avec les anges et les saints. Sur Terre, tout mouvement dans la grâce est en même temps lié à la sanctification et à la glorification. Car il s’agit d’un côté de permettre à la grâce de se répandre sur la Terre, et de l’autre de vivre la vie du Royaume avec les anges et les saints. Mais la glorification va bien au-delà et se poursuivra éternellement.
Pour résumer ces quatre mystères, on peut utiliser les quatre mots suivants : création, surcréation, recréation, récréation. La Croix vient résumer tout cela : elle unit le Ciel et la Terre, elle est l’Arbre de Vie et le lieu de notre salut. Elle n’est pas seulement douloureuse, mais aussi joyeuse, lumineuse et glorieuse. Et le Christ est le lieu où vient s’accomplir tous ces mystères : nous avons été créés dans le Fils, qui s’est incarné pour nous sauver, faire de l’humanité son Corps et son Épouse, et nous entraîner à sa suite dans le mystère de la Trinité.
Une question se pose. Y aurait-il eu la sanctification et la glorification sans la rédemption ? Pour le dire autrement, y aurait-il eu l’Incarnation de Dieu en Jésus-Christ sans le péché originel ? C’est une vaste question débattue, mais qui a fini par trouver une réponse avec les siècles. Certains, en particulier les thomises, ont affirmé que sans le péché originel, il n’y aurait pas eu d’Incarnation, car la liturgie nous dit : « Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ». Le paradis originel d’Adam et Ève était une réalité bien en-deça de la venue du Verbe de Dieu, et celle-ci ne semblait pas prévue si nous n’avions pas perdus ce paradis originel. D’autres, comme Duns Scot, ont pensé que ce n’est pas du péché que peut sortir une telle grâce qu’est l’Incarnation, et donc que c’était prévu dès l’origine par Dieu. En fait, la solution au problème demande d’accueillir le mystère de Dieu qui nous dépasse totalement, et qui voit tout de toute éternité, tout en déployant son projet dans une économie temporelle. Pour Lui, l’Incarnation était bien, et est bien, son intention première, originelle ; mais, sachant très bien qu’il y aurait le péché originel, vu qu’Il voit tout de toute éternité, Il a disposé le paradis originel sans la prévoir, car ce serait le plan de sauvetage. L’on voit ici que Dieu se sert de tout pour arriver à ses fins, même de nos erreurs et de nos péchés. Même s’Il ne les a pas voulus, Il a inclus ceux-ci dans son projet, comme des étapes pour arriver là où Il veut nous mener. C’est plutôt rassurant !
Notre vie, pour être pleinement vécue, doit entrer dans ces quatre mystères. Et il convient d’user des réalités du monde pour cela. Dieu a fait des réalités sensibles autant de signes vers le monde d’en-haut. Certains s’imaginent que plus l’on est spirituel, moins l’on a besoin de signes et de prières. Cela est faux. Peut-être est-il vrai qu’en progressant dans la vie spirituelle, il convient à certains moments, surtout dans l’oraison, de quitter les signes et les prières pour se plonger en Dieu, au-delà de ces signes et prières qui nous ont permis de L’atteindre. Mais dans la perfection de la vie spirituelle, tout en sachant vivre de ces moments de pleines unions, il convient d’user aussi des signes et des prières pour permettre à la vie divine de se déployer dans le monde. C’est alors un besoin pour vivre pleinement notre vie et évangéliser le monde. De même qu’une personne pleinement épanouie vit sa spiritualité dans tout son corps et son esprit. De même, le mystère chrétien pour être pleinement vécu demande une pleine union du cœur à Dieu, tout en usant de signes et de prières.
C’est pourquoi, une civilisation chrétienne se doit de manifester le fait chrétien par de multiples signes et symboles et d’avoir un culte riche en multiples rituels et dévotions. En effet, les réalités que l’on touche dépassent largement ce que l’on saisit ordinairement. Il faut donc tous ces signes pour nous les rendre présents : vêtements, objets, paroles, rites, etc. Ces signes permettent de rendre présent le mystère. Sans eux, l’on ne peut que s’éloigner de toutes ces réalités invisibles. Abandonner ces signes, c’est abandonner notre civilisation et les générations futures dans le rejet du christianisme, et finalement les livrer au démon, car toute place vide se trouve toujours remplie par quelqu’un d’autre.
Ne pas voir que le monde sensible est appelé à signifier le monde d’en-haut dans toutes ces dimensions et à nous le rendre présent conduit à séparer la Terre et le Ciel. On se retrouve alors soit fasciné par le monde sensible en oubliant le monde d’en-haut, soit l’on est saisi par la vanité et l’absence de sens du monde terrestre. Soit l’on ne s’intéresse plus aux réalités d’en-haut, soit les réalités d’en-haut risquent d’être vécues d’une manière éthérée qui nous fait perdre pied avec la réalité. En fait, les signes et les symboles qui participent des réalités d’en-haut nous les rendent présentes. Et si l’on en use, l’on se promène alors dans le monde au travers de toutes ces dimensions. Un arbre n’est pas seulement un arbre, il nous parle de la vie qui se déploie en Dieu, il nous rend présent Dieu le Vivant. Une église n’est pas seulement un monument, c’est la maison de Dieu ; en y entrant nous plongeons dans le sein du Père, dans la présence du Fils, dans l’onction de l’Esprit.
Notons bien que ces signes et prières vont plutôt nous porter vers l’un ou l’autre des quatre mystères ; et qu’il va y avoir des formes liturgiques propres pour manifester l’un ou l’autre. De la même manière qu’il y a quatre évangiles et non un seul, il y a quatre mystères qui demandent quatre formes d’expression. Celles-ci nous semblent parfois irréconciliables, si ce n’est qu’elles désignent une même réalité sous quatre angles : le Vendredi Saint n’est pas le Dimanche de la Résurrection, et pourtant ces deux jours font partie du même mystère pascal. Ainsi, le mouvement charismatique va être très proche du mystère de la glorification, tout en n’ayant pas peur d’user des choses de la création pour cela. Les paroisses plus ordinaires vont être plus proches des mystères de la création et de la sanctification. Là où des formes qualifiées de plus traditionnelles vont davantage insister sur la rédemption, ou également sur la sanctification. Et l’Orient va être souvent très proche de la sanctification et de la glorification. C’est un même mystère chrétien, mais celui-ci est tétramorphique : il se présente sous quatre formes.
le mythe laïque du christ pour moi étais la nativité, les études la crucifixion la résurrection mais je trouve le rosaire plus parlant création, sanctification, rédemption, glorification