L’analogie est un procédé au cœur de la philosophie, au cœur de la métaphysique. C’est elle qui permet d’entrer dans le mystère des choses de ce monde, d’en découvrir les beautés et les diversités. Perdre l’analogie, c’est tomber dans l’univocité où tout est pareil, ou dans l’équivocité où tout est différent et où il n’y a plus de liens entre les choses. C’est aussi perdre la compréhension du monde de Dieu à partir des choses de ce monde.
On constate aisément qu’il existe plusieurs domaines d’application de l’analogie. Elle est utilisée dans le rapport entre la substance et les accidents. Elle est utilisée entre les substances du monde sensible, homme compris. Elle est utilisée entre les substances spirituelles. Elle est utilisée pour comparée le monde matériel et le monde spirituel. Elle est utilisée au sein du monde matériel. Et elle est utilisée au sein du monde spirituel. Pour bien comprendre l’analogie, il convient de bien comprendre ses diverses utilisations, car elle-même est analogique. Il n’y a pas une seule analogie, mais plusieurs.
Considérons tout d’abord qu’il y a univocité quand le même concept est utilisé pour entrer dans l’intelligibilité d’une chose. Dès que les concepts utilisés par une intelligence sont différents, c’est qu’il y a équivocité. Une équivocité qui est stricte s’il n’y a aucun rapport entre ces concepts. Et une équivocité d’analogie quand il existe un rapport. Le rapport dont il est question ici est un rapport dans l’intelligibilité de la chose. Il y a une similitude dans l’intelligibilité de deux choses, ce n’est pas équivoque. Mais ce n’est pas non plus la même intelligibilité, ce n’est pas univoque. La manière qu’à l’intelligence de distinguer les intelligibilités fait que cette différence ne peut pas être liée à une différence profonde entre les deux intelligibles. C’est quelque part le même intelligible, mais qui ne se réalise pas de la même manière. Cette différence ne peut venir que d’une différence de perfection. C’est parce qu’il y a des types d’êtres plus ou moins parfaits qu’il existe des concepts pour parler de leur perfection plus ou moins parfaite. L’être d’un accident n’est pas le même que celui d’une substance humaine, ni de celui d’un ange ou de Dieu. Mon intelligence ne va pas entrer dans l’intelligibilité de ces divers êtres de la même manière. Il y a analogie d’attribution. Les concepts ou intelligibles utilisés pour entrer dans la compréhension des attributs de ces divers êtres sont de plus en plus parfaits, sont de plus en plus riches, selon que l’on remonte dans l’échelle des êtres.
Le fondement de l’analogie est cette succession d’intelligibles de plus en plus parfaits qui s’emboîtent les uns les autres, les plus parfaits reprenant les moins parfaits en les débordant de toute part. C’est la seule manière de poser cette similitude d’intelligibilité tout en maintenant leur différence.
On constate qu’il existe plusieurs niveaux à l’analogie, plusieurs lieux où un intelligible sert de nœud et d’unité en reprenant tous les intelligibles inférieurs. Il y a d’abord la notion d’être substantiel qui reprend tous les êtres accidentels. La substance sert d’unité aux accidents. Puis, il y a le monde des substances sensibles qui trouvent leur unité en l’homme. La notion de substance elle-même est analogique : celle de la manière inerte telle une pierre à qui il manque un vrai principe d’unité n’est pas la même chose que celle des végétaux et des animaux non spirituels comme les arbres ou les chiens, et ce n’est pas encore la même que celle de l’homme où elle comporte la notion de spiritualité. Et enfin il y a le monde des substances spirituelles qui trouvent son unité en Dieu. Là les concepts humains sont inadaptés pour les anges et Dieu, on ne peut qu’aller chercher en eux les intelligibles pour entrer dans l’intelligence de ce qu’ils sont. C’est le rôle des anges de nous conduire à cela, étant chacun un intelligible d’une perfection angélique et une porte d’entrée vers la perfection divine correspondante.
On voit ici que l’unité définitive de notre connaissance analogique se trouve en Dieu. La substance humaine, elle, se trouve à la charnière entre ce qui est intelligible par nos concepts et ce qui demande l’aide angélique. Elle fait aussi le lien entre le monde matériel et le monde spirituel. Par exemple, en l’homme, vont se trouver la connaissance de l’œil qui est matériel et la connaissance de l’intelligence qui est spirituel. Les termes de connaissances sont ici analogiques, deux concepts de connaissances sont utilisés, deux concepts de saisi d’un objet. Mais deux concepts qui se superposent, l’un débordant l’autre de son intelligibilité en le reprenant.
Quand on se sert du procédé d’analogie, il faut bien suivre le chemin qui va des accidents à la substance, puis des substances sensibles à la substance humaine, puis des substances spirituels à la substance divine. Sinon, on peut vite faire des erreurs.
L’homme est un animal, comme le chien. Mais il y a là équivocité, car l’animalité de l’homme est toute emprunte de spiritualité. Quand on voit un homme, on ne parle pas d’un animal, sauf de manière ironique, mais bien d’une personne humaine. Cette notion de personne humaine reprend la dimension personnelle de sa spiritualité et sa dimension d’animalité emprunte de spiritualité. Entre une personne spirituelle et un animal, il y a une analogie, avec un lien qui se fait chez l’homme dans sa notion de personne humaine. Nous appelons cela une analogie d’animation, car cela vient de l’union de l’esprit et de la matière dans le corps humain où l’esprit sert de principe d’animation au corps. À la jonction entre la vie spirituelle et la vie animale, il y a la vie humaine qui contient les deux notions ensemble. On peut donc remonter de la vie du monde animal à la vie du monde spirituel et donc à celle des anges et de Dieu, en faisant le lien par l’homme. Il y a en l’homme une incarnation de sa spiritualité. Il faut bien noter que c’est la notion de corps humain qui est plus riche que celle d’âme ou d’esprit humain, ainsi que de celle de corps animal. La notion de corps humain contient déjà la notion d’esprit, car le corps est justement le composé de l’esprit et de la matière. On ne peut parler de corps humain sans avoir directement dedans la notion d’esprit. Et si chez les anges, on parlera bien d’Esprit et non de Corps, c’est parce que les anges reprennent la plénitude d’être du corps humain dans un degré d’être plus grand et purement spirituel. C’est évidemment encore plus vrai chez Dieu.
Nous avons parlé jusque là de l’analogie d’attribution, autrement appelée focalité, et de l’analogie d’animation qui est un cas particulier de l’analogie d’attribution. On parle aussi parfois de l’analogie de proportionnalité où l’on compare deux rapports en y trouvant une similitude. L’œil voit les couleurs, comme l’intelligence voit les intelligibles. Pour qu’il y ait vraiment analogie selon ce que l’on a dit plus haut, il faut qu’il y ait derrière ce rapport, une attribution analogique. Le fait de voir pour l’œil est analogique à celui de voir pour l’intelligence, il y a une similitude d’intelligibilité, mais dans des perfections différentes qui requièrent alors deux concepts.
Une question que pose l’analogie est celle de savoir si la constitution d’un genre donné est toujours univoque. Puis-je considérer les substances sensibles comme un genre, alors que l’on a dit que la notion de substance était analogique entre les substances inanimées, les substances animées et les substances spirituelles ? De même les personnes humaines, angéliques et divines forment-elles un genre ? Quand il y a univocité d’attribution, il n’y a pas de problèmes, comme avec la notion d’animalité. Mais quand il y analogie, on voit que l’on est en mesure de se constituer un genre parmi les substances, mais c’est un autre type de genre. Ce n’est pas un genre d’univocité, mais un genre d’analogie. Tous les types d’êtres ne peuvent pas former un genre d’analogie, car celui-ci repose sur la notion de substance par l’attribution. L’analogie dont il est question est bien l’analogie d’attribution. Les accidents n’entrent donc pas dans de tels genres avec les substances. L’être n’est pas un genre, même pas un genre d’analogie, car on ne le considère pas toujours comme l’attribution d’une substance. La connaissance forme un genre, mais un genre d’analogie : c’est là l’attribution analogique de diverses substances, avec en son sein la connaissance sensible et la connaissance spirituelle. Il n’y a pas là un seul concept de connaissance propre aux deux, mais deux concepts analogiques.
Quand on réfléchit à Dieu, il faut bien faire la différence entre l’analogie de proportionnalité et l’analogie d’attribution. Par exemple, la Trinité trouve un reflet dans l’homme par ses dimensions d’esprit, d’âme et de corps. Il s’agit là d’une analogie de proportionnalité. Cela dit quelque chose de Dieu et de l’homme, mais cela est finalement peu de chose par rapport à ce que l’on peut dire en utilisant l’analogie d’attribution qui regarde nos communautés de personnes à l’image de la Trinité. C’est avant tout l’union interpersonnelle qui est à l’image de la Trinité. C’est elle qui nous plonge le plus dans son mystère. Les dimensions internes à l’homme ne nous aident à entrer dans l’intelligibilité de la Trinité que de manières très indirectes et beaucoup plus pauvres.
On a dit que certains concepts remontaient par analogie d’attribution jusqu’à Dieu. C’est le cas de la connaissance, comme on l’a vu, qui remonte de la connaissance sensible à la connaissance spirituelle des hommes, des anges et de Dieu. C’est le cas aussi de la notion de substance. Mais il y a des concepts qui ne suivent pas un tel chemin. C’est le cas par exemple de l’arboréité, de la canéité, de l’essence des abeilles, de la couleur. Ce sont des concepts limités. Ils ne peuvent être que lié au monde matériel, car le propre du spirituel est au contraire de nous plonger par débordement jusqu’à Dieu. Ces concepts ne nous parlent donc pas directement de Dieu ou de la spiritualité humaine ou angélique. Mais l’on constate que ces concepts se trouvent rattachés à des notions analogiques qui par proportionnalité nous permettent de parler de la spiritualité ; ils débordent aussi de spiritualité, mais d’une manière indirecte. Par exemple, la vie végétale est à l’arbre ce que la vie spirituelle est à l’homme ou à Dieu. Ainsi, je dirai que l’homme est un arbre, ou qu’au cœur de Dieu, il y a un Arbre, un Arbre de Vie. Le concept limitée me permet d’entrer finalement dans une meilleure compréhension par métaphore et symbole des réalités spirituelles. Et je me mets alors à désigner des choses de Dieu par ces concepts. Ce sont des métaphores, des symboles. Mais, dans certaines métaphores, se cache parfois derrière le concept matériel limité un concept analogique associé qui a un lien si fort avec lui que nos mots humains ne les ont pas distingués. C’est le cas par exemple du feu. Quand je dis « Dieu est un Feu », c’est à la fois une métaphore, fondée sur une analogie de proportionnalité, et à la fois une analogie d’attribution. Dans ce cas, il faudra mieux parler d’une analogie symbolique ou métaphorique que d’une métaphore, car il s’agit à la fois d’une analogie d’attribution et d’une métaphore. On dit parfois que les sept Esprits de Dieu forment un Arc-en-Ciel, que le monde de Dieu est plein de Couleurs. Ce n’est pas simplement une métaphore qui comparent des réalités matérielles et spirituelles. C’est aussi une analogie qui nous désigne la manière dont nos intelligences contemplent les choses spirituelles. Ce n’est pas le cas par exemple lorsque l’on associe la colombe par métaphore à la paix. La colombe n’est pas intimement liée à la notion de paix.