Tanac

Chapitre 1 : Une merveilleuse cité

Une ville

Tanac. Ville étrange. Installée dans une plaine de grande beauté et fertilité, non loin de montagnes élancées. La cité est riche en merveilles et en lieux fabuleux. Dans ses recoins et ses allées, les passants s’y promènent le regard enchanté. La vie s’y déploie agitée et prometteuse. On pourrait croire que cette ville est éternelle. Pourtant, c’est une si petite flamme dans un monde immense en déroute.

À l’ouest, c’est le pays d’Éolus. C’est un empire d’ingénierie. Les machines s’y retrouvent partout : pour nourrir, pour produire, pour faire la guerre, pour faire l’amour, pour bâtir, pour chasser, pour dormir, etc. Et à force d’en construire, la nature a été ravagée. La vie a reculée, la vie s’est amenuisée. Les gens de cette contrée sont fascinés par leur système politique qui repose sur l’alliance de douze rois.

À l’est se trouve Asmoda, c’est un monde de guerrier qui adore un Dieu guerrier. La liberté n’existe pas. Il n’y a qu’un empire, uniforme. Ceux qui y habitent s’y sentent puissants ; ils sont fiers de leurs mœurs et de leur destin. Ces personnes vivent de l’esprit de prophétie : les prophètes sont nombreux et sont regroupés dans sept écoles, autour de sept maîtres-prophètes.

Au nord, c’est le pays de Belsa, c’est un monde en déclin. Il pourrait ressembler au monde de Tanac, mais une alliance ancienne avec celui d’Éolus l’a entraîné dans une décadence dont il ne se remet pas. L’on y vit au rythme des célébrations liturgiques. Et c’est l’esprit sacerdotal qui y prédomine dans une organisation hiérarchisée autour d’un grand-prêtre et de ses deux adjoints.

Au sud, personne ne sait ce qu’il y a au sud. On dit que c’est un monde de désolation. On le pense désert, mais personne ne le sait vraiment. Il y règne une profonde obscurité. Les machines qui l’ont exploré n’y ont jamais rien vu. Mais beaucoup à Tanac pense qu’il est habité. Certains y sont partis ; on ne les a jamais revus.

Et au-delà de tous ces empires, loin, très loin, de l’autre côté du globe, se trouve un monde que l’on connaît peu. On le dit fasciné par le fantastique, et fasciné par tout ce qui vient des puissances de la nature. Là-bas, la magie fait des ravages. Mais ce monde obéit à une autre logique. Il est très différent et très divers.

Tanac est la gardienne de la Flamme d’Amour, de la Lumière d’Amour. C’est là qu’elle est apparue autrefois, au lieu du Temple. À l’époque, ce n’était qu’un désert où était venu le Précurseur, celui qui a vu la Vive Flamme et qui l’a recueillie. Il est parti alors dans les royaumes du Nord ; la Lumière s’y est propagée. On a fait des temples pour la garder. Il s’est trouvé des prêtres pour la servir. C’est une Lumière qui ne s’éteint jamais, sauf si on choisit de s’éloigner d’elle. C’est une Flamme d’Amour. Et du Nord, elle est partie à l’Est et à l’Ouest.

Puis, un jour, un homme et une femme ont reçu l’appel à revenir au lieu où elle avait été donnée, qui était alors désert. On les a pris pour des fous, car c’était très dangereux à cause de bêtes féroces et d’esprits malfaisants ; et tous ceux qui avaient essayé étaient morts. Ils y sont allés, et en arrivant là où la Flamme brillait encore, en se livrant à elle, de l’eau a jailli, a assaini la région, a chassé les bêtes, et a rendu la plaine de Tanac fertile. Et l’on a pu y bâtir une ville. Le grand prêtre du Nord a reconnu que c’était bien là la Lumière d’Amour qui avait agi, et il a rejoint Tanac. Des hommes prêtres ont été désignés pour servir au sanctuaire de la Lumière d’Amour. Et des femmes prophètes ont été instituées pour servir à l’accueil de cette Vive Flamme dans les foyers.

À Tanac, un grand-prêtre et deux adjoints s’occupent du monde sacerdotal qui veille sur les liturgies de la Lumière d’Amour. À Tanac, sept prophétesses sont responsables de l’esprit de prophétie. À Tanac, douze rois et douze reines gouvernent les différentes provinces de cette plaine aux vingt-quatre bourgades.

Mais à Tanac se trouvent aussi les Gardiens de la Flamme d’Amour : ce sont des hommes et des femmes qui, à l’école des deux fondateurs, se laissent porter par les inspirations de la Vive Flamme. À deux, toujours à deux, un homme avec une femme, ils cherchent à suivre les chemins où les portent le service de la Lumière d’Amour.

Après sa fondation, Tanac a un moment illuminé le monde, qui a semblé trouver une certaine unité. Mais, progressivement, chacun est revenu à sa propre logique. Et ceux du Nord se sont trouvés un autre grand prêtre. Aujourd’hui, Tanac paraît bien petit et ridicule face aux grands empires qui l’entourent et qui se font faces dans un équilibre qui semblent partir de plus en plus vers le chaos.

Au Temple

« Ô Vive Flamme éternelle, splendeur ineffable venue d’au-delà de tout ce qui passe, toi qui réchauffe et conduit, toi qui guide et affermit, toi qui fait naître l’Enfant dans nos vies, nous t’invoquons, nous t’appelons, nous te désirons. Lève-toi, ô Lumière, brille, brûle, viens. »

C’est le matin, Eymeric est venu au Temple écouter la liturgie qui ouvre ce nouveau jour et le place sous la protection de la Vive Flamme d’Amour. C’est vrai qu’elle est belle cette lumière qui brille sans fin dans l’âtre sacré. Tout ce que l’on jette dans cette flamme ne se consume pas. Cela peut être des objets, du bois, de la nourriture. Là, le prêtre vient justement d’y mettre un morceau de pain et des oranges. Il les en retire. Cela servira au petit-déjeuner qui suit la liturgie. C’est une manière de garder le goût des choses sacrées, et de rester dans le merveilleux qui se propage depuis la Lumière d’Amour.

Eymeric aime bien venir le matin ici. Il fait cela depuis cinq semaines déjà. Le jour de ses treize ans, en se promenant seul dans les rues pour humer le bon air et se remémorer tous ses beaux souvenirs avec sa famille et ses amis, il a eu envie d’entrer dans le Temple. Il vient souvent au Temple depuis petit, mais c’est la première fois qu’il choisissait seul d’y aller. Il s’est approché de la Flamme, et il s’est dit : « Cette Lumière est si belle, l’Amour qu’on y trouve est si grand. Ce serait dommage de continuer ma vie sans la fréquenter davantage. » Il a été un peu ému de se dire qu’elle est là et qu’on l’ignore trop souvent. Alors il a décidé de venir ici tous les matins, avant d’aller à l’école ou à l’atelier.

Il n’est pas seul à venir. Ils sont une bonne centaine, en plus des vingt-quatre prêtres et vingt-quatre prophétesses qui sont là tout au long du jour. Parmi les prophétesses, il y a une sœur de son papa, Thérèse. Et parmi les prêtres, un cousin de sa maman, Martin. Ces gens-là ne se marient pas. Ils servent la Vive Flamme d’Amour. Cela l’a étonné au début, car la Lumière d’Amour parle de noces, d’union, de fécondité. Mais il a compris ensuite que leur célibat la désigne, la montre : elle témoigne de la grandeur et de la réalité de la Flamme d’Amour.

Il observe la Lumière. Si on la regarde longtemps, on finit par Le voir, Lui, l’Enfant. Celui en qui tout est, celui qui veut faire de notre cœur un trône où demeurer. C’est ce que l’on enseigne à Tanac. C’est le chemin de la vie.

Tanac. Ville étrange.

Au Temple, ce matin, il y a aussi France qui a le même âge qu’Eymeric. Elle est là, chaque jour, à contempler la Vive Flamme. Silencieuse, immobile, pleine de mystère.

« Lève-toi ô Lumière, brûle, brille, consume. Feu sacré, Flamme ardente, souffle d’amour et d’union, source féconde. Viens. Viens en ce jour, viens toujours. Toi qui est, qui était et qui vient. Toi, qui tout en étant une est trois, et qui tout en étant trois est neuf. Viens en ce jour, viens pour toujours. »

La liturgie continue et se termine. On partage ensuite une collation. Puis on repart vers ses propres activités.

Au marché

France, aujourd’hui, a le même programme qu’Eymeric : aller chez le menuisier apprendre à faire des meubles et des objets d’art. Le travail manuel fait partie de leur formation, en plus de l’exploration de la contrée et des cours de sagesse.

Mais ils ont une bonne heure devant eux avant le début de la séance. Alors ils décident d’aller ensemble au marché pour observer les étalages.

Les marchants sont en train de finir de s’installer. Quelques passants sont déjà là, mais ce n’est pas encore la grande affluence du milieu de journée. Eymeric aime bien aller voir le marchant d’olives qui lui offrent souvent une tartine de tapenade. France est fascinée par l’artisan d’objets de décoration de maison.

Devant le kiosque à revues et journaux, ils retrouvent Jeanne et Bernadette qui étaient aussi à la liturgie ce matin. Ce sont des prophétesses d’une trentaine d’années. On leur reconnaît un grand souffle de vie pour mener à bien leur mission : elles aiment fouiner à droite et à gauche, s’introduire partout, et, discrètement, encourager, avertir, consoler.

« Bonjour les jeunes ! Belle journée, n’est-ce pas ?

– Bonjour ! »

Quelques banalités sont échangées. Avec Jeanne et Bernadette, tout est toujours très vivant et très joyeux.

« Alors, quelles sont les nouvelles ? demande Eymeric, désignant le kiosque.

– Oh, vous savez, les nouvelles du monde, cela ne dit pas grand-chose, rétorque Bernadette. Les vrais nouvelles, on les a là-bas, ajoute-t-elle en désignant le Temple.

– C’est vrai. Et quelles sont les nouvelles alors de côté-là ? répond Eymeric, amusé par sa propre réponse.

– Elles ne sont pas très bonnes. »

Un peu d’inquiétude apparaît alors sur le visage de Jeanne. L’espace d’un instant. France et Eymeric en sont étonnés. Ils ne l’ont jamais vue que joyeuse.

France s’adresse alors à elle :

« Pouvez-vous nous en dire plus ?

– Je ne vous dirai que ce qui est connu depuis longtemps, ce qui a été annoncé depuis les temps anciens, dit-elle avec gravité.

Au jour marqué par Dieu, ils viendront de l’Est. Puis de l’Ouest. Puis du Nord. Ils chercheront à détruire Tanac. Et ils échoueront les uns après les autres. Et beaucoup découvriront la Vive Flamme d’Amour. Puis ils reviendront tous ensemble : l’Est, l’Ouest, le Nord, le Sud, et ceux qui vivent de l’autre côté, dans une dernière bataille, tous unis contre ceux qui servent la Lumière d’Amour. Que se passera-t-il ce jour-là ? Que restera-t-il du monde que nous avons connu ? Nul ne le sait. Mais la Vive Flamme d’Amour aura toujours le dernier mot. Même si cela se fait après un échec apparent.

– Pourquoi faut-il qu’il en soit ainsi ?

– La Vive Flamme d’Amour veut régner dans tous les cœurs. Mais beaucoup lui résistent. Alors, pour arriver à ses fins, elle amène ses ennemis tout contre elle, au cœur de ce qu’elle est. Cela semble être un échec ; mais, au final, cela permet à la Lumière d’Amour de briller comme une aurore et de toucher les cœurs les plus endurcis.

– Quand cela arrivera-t-il ?

– Nul ne le sait. Mais ce que l’on sait, c’est qu’il nous sera envoyés des élus comme signe d’espérance en ces jours difficiles. Ils apparaîtront aussi dans un échec qui se changera en victoire. Il est dit que cela se fera sur le mont, là où l’eau a jailli. Des ennemis viendront les mettre à mort. Ils auront l’air de venir de l’Est, mais, en fait, ils viendront du Sud. Ils mettront à mort les deux de la maison du deux. Et ces derniers resteront gisant trois jours et demi, avant qu’un nouveau souffle ne leur soit donné. Et ils seront alors les portes-étendards de la Vive Flamme d’Amour, les témoins de l’Alliance éternelle et indestructible que celle-ci a scellée avec Tanac.

Leur martyr se fera en même temps que sera oint un serviteur de la Lumière d’Amour qui ressemblera au Précurseur. Quand cela arrivera, ce sera le début de l’épreuve. »

Eymeric et Jeanne ont déjà entendu parler de tout cela, dans leur famille, chez leurs amis. Mais, aujourd’hui, se trouve dans ces propos une certaine gravité, comme quelque chose de désormais imminent. Eymeric demande alors :

« Et pensez-vous que cela arrivera bientôt ?

– Qui sait ? Dans dix ans, vingt ans… Je ne pense pas davantage. Il est dit que quand l’on verra le monde couronné d’épines, et que l’on cherchera à voiler le sourire de Dieu, alors c’est que le temps est arrivé. Beaucoup de nos prophètes la voit venir cette couronne. Il faut se préparer. »

Tanac. Ville étrange. Que seras-tu ? Que deviendras-tu ?

Chapitre 2 : Loin de sa terre

Au Nord

Eymeric se repose dans sa chambre. Elle n’est pas bien grande, mais jolie et très lumineuse. Il l’a agrémentée de plusieurs plantes qui y mettent un peu de vie, et de photos de Tanac qui lui rappellent tant de lieux et de personnes vers lesquelles se portent son cœur. Depuis plus de deux ans, il est venu dans cette grande ville du Nord au nom chantant : Marista. Tout jeune homme ou jeune femme de Tanac est encouragé à passer trois ans de son existence dans une autre contrée. Alors, il est venu ici apprendre l’architecture.

Marista fut une très jolie ville, aux bâtiments sublimes et aux jardins réputés. Malheureusement, la folie des hommes, épris d’efficacité et de rentabilité, a beaucoup abîmé et gâché la splendeur des lieux. Il en reste quand même quelque chose. L’âme de la ville demeure très présente et perceptible. Eymeric aime s’y promener et goûter cette vie qui s’y déploie, penser à ce que chaque chose représente, percevoir ce qu’il y a au-delà des choses… La Vive Flamme d’Amour se laisse entrevoir d’une manière particulière en ce lieu. Chaque lieu et chaque communauté est une manière particulière pour la Lumière d’Amour de se laisser rencontrer.

Des amis de la Vive Flamme d’Amour sont présents à Marista. Ils sont suffisamment nombreux pour que l’on se sente un peu chez soi. Cependant, ils restent très minoritaires dans ce monde immense qui semble en grande partie l’ignorer. Comment se fait-il que la Lumière d’Amour ne soit pas davantage perceptible pour le plus grand nombre ?

Eymeric a prévu de retourner dans quelques mois à Tanac. Il a fini son expérimentation loin de son pays natal. Ce fut riche et instructif. Mais sa place est bien à Tanac. Il le sait, il le pressent. Il doit là-bas y servir la Flamme d’Amour. Il est important de maintenir vive la Lumière d’Amour à Tanac, pour qu’elle puisse percer dans le reste du monde.

Il regarde par la fenêtre. C’est une étrange ville, bruyante, un peu fatigante, et fatiguée. C’est un tournis de rencontres et de divertissements. Tous semblent avoir oublié ce que fut le Royaume du Nord quand la Lumière d’Amour l’a un jour éclairé, à l’époque où Tanac n’existait pas. Ce fut la grandeur du Nord. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

Depuis quelques mois, un nuage sombre s’est levé à l’Orient. Au sens propre. Des nuages noirs ont envahi le Ciel. Ils encerclent le monde et l’assombrissent, tels une couronne d’épines. Ils vont et viennent, laissant un peu de répits et de clarté, avant de semer leur ténèbre. Certains disent qu’ils sont dangereux. Les scientifiques parlent d’un phénomène naturel, causé par des volcans à l’Orient, et peut-être aussi de l’autre côté du globe. Ils disent que cela risque de durer un peu. Ils cherchent des solutions et bâtissent des machines pour bloquer ces nuages. Ils ne veulent pas voir qu’il y a là quelque chose de ténébreux, une machination diabolique. Ils ne veulent pas connaître les prophéties.

Les prophéties disent qu’en ces jours le monde entier finira par se liguer contre Tanac. L’Est, puis l’Ouest, puis le Nord, puis tous ensemble… Il pressent que la Lumière d’Amour dérange… Certains, car ils ont pris un autre chemin, la décrivent comme semant la haine. Ils la détestent, ils veulent la détruire… Alors qu’elle n’est qu’Amour et Bonté… Qu’elle n’a jamais fait de mal à personne, et qu’elle rend la vie si belle et si merveilleuse.

Aura-t-il le temps de retourner à Tanac ? Les choses semblent se précipiter à l’Est… Il lui reste trois mois avant de prendre le chemin du retour. La Vive Flamme d’Amour l’appelle là-bas. Elle saura bien le guider, comme elle a guidé ses ancêtres, ses amis, et tant de gens avant lui. Si l’heure est arrivée des grand bouleversements, c’est qu’il approche le temps où la Lumière d’Amour va percer partout en ce monde, produisant un immense renouveau… Alors, il veut la servir, car elle est la source de toute vie, de toute joie, et de tout amour.

En ville

« C’est joli ici !, s’exclame Eymeric.

– Oui , cela change de là où l’on vient de passer. », lui répond Jacques.

Jacques est un bon ami. Il l’a rencontré ici à Marista. Son père et sa mère habitaient Tanac, avant de venir s’installer dans cette ville du Nord.

Eymeric regarde les gens. On les sent tendus, inquiets. Il y a de quoi. Beaucoup de rumeurs circulent sur ces fameux nuages. On les dit nocifs et toxiques. Certains cherchent à s’en protéger en revêtant des vêtements étranges, et en se couvrant le visage.

Eymeric se tourne vers son ami :

« Crois-tu vraiment que ces nuages sont aussi dangereux que certains le disent ?

– Je ne sais pas. Mais, on entend parler de beaucoup d’inventions assez farfelues pour chercher à s’en prémunir. Certains les adoptent sans discernement. J’ai bien peur que l’on fasse plus de mal que de bien. Et il est si triste de ne plus voir tant de sourires. »

Eymeric se souvient avec précision de ce que lui avait dit les prophétesses : « Il est dit que quand l’on verra le monde couronné d’épines, et que l’on cherchera à voiler le sourire de Dieu, alors c’est que le temps est arrivé. Beaucoup de nos prophètes la voit venir cette couronne. Il faut se préparer. »

Il trouve très regrettable que, même dans ce pays du Nord aux antiques traditions, la seule solution que l’on cherche se trouve dans la technique. L’influence de l’Ouest a vraiment fait des ravages. Les gens semblent avoir oublié le monde d’en haut, le monde qui les dépasse.

En fait, ils ont fini par rejeter la Vive Flamme d’Amour, ils s’en sont éloignés. Cela rejaillit dans beaucoup de choses. N’étant plus éclairés par en haut, ils cherchent des consolations dans beaucoup de choses futiles… Mais ils ne trouvent pas la paix et la joie. Alors, le monde se désenchante, et c’est la route vers les ténèbres.

Au culte

C’est une petite chapelle dédiée à la Vive Flamme d’Amour, dans une rue peu passante et qui a gardé un certain caractère. La chapelle est charmante ; elle repose l’âme et réjouit les sens. Sept prophétesses consacrées gardent ce sanctuaire ; des amis prêtres viennent se joindre parfois à elle. Les fidèles apprécient beaucoup ce lieu. Il réchauffe le cœur.

« Ô Vive Flamme d’Amour, nous t’adorons, nous t’espérons, nous te chantons, et nous te désirons. Toi qui guide et conduit. Toi qui prépare tout chemin et tout avenir. Toi qui nous mène vers l’Aurore sans déclin où tu brilleras sur toute chose. Aide-nous à te servir. Viens, brûle, illumine ! »

Eymeric est venu là méditer, prier, se mettre en présence de la Lumière d’Amour. La liturgie l’y aide, l’y entraîne. Elle se poursuit dans un silence fait de plénitude…

C’est alors que la Lumière d’Amour devient à ses yeux beaucoup plus vive, plus douce, plus belle… Le monde semble s’embraser. Et voilà qu’apparaît l’Enfant… C’est une vision grandiose qui le saisit, qui le rejoint et qui l’emplit de joie. Il ne s’y attendait pas, mais il ne ressent aucune crainte. Autour de l’Enfant, quatre cavaliers de grande beauté se tiennent prêts à partir dans toutes les directions.

Le premier a un fanion blanc, d’une blancheur chaude et colorée, sur lequel est écrit le mot « Paix ». Il tient à la main une épée. Et le voilà qui part, s’élance. Et, de son épée, il se met à pourfendre tous les nuages noirs qui encerclent le monde.

Le deuxième a un grand bouclier rouge, sur lequel figure un chien et un poisson. Sur ce bouclier est écrit en lettre verte le mot « Guérison ». Et il tient à la main une lance. À son tour, il se met à suivre le cavalier blanc pour le protéger des attaques venues d’étranges machines ou robots bâtis par les hommes.

Le troisième cavalier a des habits bleus aux reflets violets. Il n’est pas habillé pour la guerre, mais pour porter des messages. On peut lire, écrit sur le caparaçon du cheval : « Justice et Vérité ». Et le voilà qui se met à faire des aller-retours depuis l’Enfant vers le reste du monde pour semer des paroles de vie qui réconfortent.

Le quatrième cavalier dégage une couleur jaune orangée. Il porte à la main une torche. Il a également un fanion sur lequel se trouve un aigle, avec ces mots : « Témoin de la Lumière d’Amour ». Il est encore près de l’Enfant, attendant le signal…

C’est alors que, la vision se poursuivant, le décor changea. Eymeric n’était plus dans la chapelle de Marista, mais dans un autre lieu de culte, beau et majestueux. Il reconnut celui d’un monastère à l’Est de Tanac où il aimait se rendre les années passées : le monastère de l’Arbre Flamboyant. De là, une prière s’élevait vers le Ciel, de plus en plus intense, pendant que les trois premiers cavaliers continuaient de parcourir la Terre pour mener la bataille.

Et soudain une voix joyeuse et solennelle se fit entendre : « La voilà l’heure où le Ciel doit s’ouvrir… »

Et résonna alors le son d’une trompette. Un chant de louange s’éleva des quatre cavaliers. Le quatrième s’élança… Et la monture du premier cavalier devint un griffon, celle du deuxième un aigle, celle du troisième un pégase, et celle du quatrième un dragon. Et, volant dans les airs, ils se mirent à chasser tout ennemi et à remporter toute victoire… Et un immense arc-en-ciel apparut. Tout s’embrasait. Tout n’est que feu, tout n’est que flamme…

La vision prit fin.

Eymeric était toujours dans la chapelle du monastère de l’Arbre Flamboyant, et non dans celle de Marista.

Au monastère

Le père Maximilien écoute légèrement amusé et assez étonné le récit d’Eymeric. De là où ils se trouvent, depuis ces montagnes où se trouvent le monastère, ils aperçoivent d’un côté tout le pays de Tanac, et de l’autre le début d’Asmoda, ces contrées de l’Est qui semblent de plus en plus menaçantes. De nombreuses rumeurs arrivent jusqu’au monastère. On entrevoit des préparatifs de guerre. Tout est très inquiétant.

« Ce qui t’est arrivé est un signe que la Lumière d’Amour ne nous abandonne pas.

– Je ne suis pas sûr de comprendre. Que veut-elle nous dire ?

– Quand on voit le cours des choses, aujourd’hui, il ne semble plus rien rester pour éviter que tout ne sombre dans le chaos. Si ce n’est la Vive Flamme d’Amour. Ce n’est pas pour rien qu’elle t’a amené du Royaume du Nord dans un monastère du côté de l’Est : elle nous montre une direction. Elle nous enseigne qu’il faut aller chercher dans l’intériorité et la vie contemplative le supplément d’âme qui peut donner un renouveau. Beaucoup recherchent trop les moyens humains ou techniques pour apporter un salut. Ta vision montre que la Vive Flamme d’Amour a décidé d’agir d’une manière qui nous dépasse, et qui nous rappelle que notre destinée est entre ses mains.

– Et pourquoi m’a-t-elle choisi pour dire cela ?

– Elle est libre et souveraine. Elle donne à chacun une mission unique. Il ne faut pas se comparer aux autres. Elle a une mission pour toi ; tu la découvriras au plus profond de toi même, loin de tout ce que veulent t’imposer les autres, dans ce lieu intime où brûle la Vive Flamme d’Amour. Tu peux la refuser, cette mission ; certains l’ont fait. Elle saura trouver alors quelqu’un d’autre pour que ses projets se réalisent. Cela peut être une mission toute simple. Mais parfois, comme aujourd’hui, elle décide de se saisir de quelqu’un, comme d’un crayon, pour écrire plus visiblement un de ses mots d’amour. Après cela, elle repose le crayon.

– Tout cela est vraiment étrange. Je me sens tellement incapable de trouver et de prendre le chemin qu’elle me désigne. Je ne comprends pas le chemin qu’elle me désigne.

– Il est bon de se sentir incapable, car il ne s’agit pas là d’avancer selon les capacités humaines, mais selon les capacités divines. Ce que tu as vécu ne t’appartient pas, ce n’est pas pour toi, c’est pour tous les serviteurs de la Lumière d’Amour. Chacun de nous doit chercher son chemin et le prendre. C’est la Lumière d’Amour qui nous en rend capable. Cherche ton chemin, et tu le trouveras : il faut le chercher dans la simplicité et dans ce qui donne une fécondité qui dure. Mais tout chemin, et tout ce que l’on peut voir, doit être confirmé par les ministres de la Vive Flamme. Car, sinon, le risque est grand de se tromper de lumière. »

Ces paroles font place à un silence méditatif. Ne voulant pas le laisser s’installer trop longtemps, Eymeric demande, en désignant les contrées de l’Est :

« Croyez-vous qu’ils vont chercher à détruire Tanac ?

– C’est ce qu’on entend. C’est ce qui a été dit. Et j’ai bien peur que ni le Nord ni l’Ouest ne vont venir au secours de Tanac quand cela arrivera. Ils vont trouver mille raisons pour ne pas respecter les vieilles alliances et gagner du temps. Peut-être l’une ou l’autre contrée le feront-elles de leur propre chef. Mais il n’y a pas beaucoup d’espoir à attendre de ce côté-là. C’est une occasion pour nous de nous en remettre pleinement et entièrement dans la Vive Flamme d’Amour. »

Un nouveau silence méditatif s’installe. Le père Maximilien semble soudain s’illuminer.

« Mais il ne faut peut-être pas croire à une guerre généralisée. Ta vision semble nous montrer que la Lumière d’Amour va nous redonner la paix, sûrement après un échec qui durera peu de temps. L’Est viendra, comme dans un coup de lance, frapper Tanac… Et il échouera. Les nuages passeront, la vie normale reprendra. Beaucoup n’auront rien vu. Mais une direction sera donnée qui permettra de nous mettre en route vers ce qui nous attend dans les prochaines décennies.

– Mais, je croyais qu’il était dit que quand l’Est semblerait frapper les deux de la maison du deux, ce serait en fait le Sud qui aura agi ?

– Cela n’est peut-être pas encore pour maintenant… Pour ta part, ne t’attends pas à être connu. Va seulement témoigner auprès des ministres de la Lumière d’Amour de ce que tu as vu, et de ce qui t’est arrivé. Ce sera à eux de décider de ce qu’ils veulent faire de tout cela. Mais j’ai idée qu’il vaut mieux ne pas ébruiter cette histoire. Il vaut mieux seulement la raconter de personne à personne, selon ce que la Vive Flamme nous désigne. Il vaudra mieux pour toi reprendre simplement ta vie à Tanac, laissant la Vive Flamme te mener sur un chemin de vie. »

Un éclair dans la nuit

Voilà deux semaines qu’Eymeric se trouve au monastère. Il attend que les ministres de la Lumière d’Amour comprennent un peu le sens de tout cela. En fait, cela le réjouit de vivre cette vie simple de travail, de prière, de lecture, dans un cadre magnifique, où tout est fait pour nous parler de la Lumière d’Amour.

Ces derniers jours, il s’est lié d’amitié avec Louise, une dame d’un certain âge, qui vient chaque jour au monastère aider de ses doigts de fées. Elle est une fontaine de joie et de gaieté, un rayon de soleil, tout en ayant un côté assez mystique. Elle est dans la confidence de ce qui lui est arrivé.

« Alors, Eymeric, content d’être venu jusqu’ici ?

– Oui, mais je ne l’ai pas beaucoup choisi…

– En tout cas, tu as choisi de vivre cela d’un bon pied. Tiens, aide-moi à déplacer ces sacs de graines.

– Oui, bien sûr… Mais je me demande ce que tout cela signifie.

– Tu veux que je te dise ce que pense une vieille femme comme moi ? Regarde, l’histoire nous ramène vers la manifestation de la Lumière d’Amour. Les puissances de l’Est sont de plus en plus menaçantes : au nom de vieilles prophéties, les hommes prennent les armes pour bâtir un immense empire vaste comme le monde. Mais, ce n’est pas la seule inquiétude : à l’Ouest, des gens sans scrupules se servent des malheurs du monde pour servir leurs intérêts tout aussi hégémoniques. Il se pourrait même que ce soit eux qui les suscitent. Pendant ce temps-là, le Nord reste tout à fait inactif et endormi. Il semble compter les points. Mais je crois bien qu’il sera prêt finalement à tout sacrifier pour que brille sa propre lumière.

Alors, vois-tu, fasse à tous ces empires très puissants aux yeux des hommes, la Lumière d’Amour a décidé de se servir de personnes très petites pour réaliser son œuvre. C’est-à-dire de toi, et d’autres personnes. Que sommes-nous finalement dans ce vaste monde ? Rien. Et pourtant, la Vive Flamme d’Amour, elle, est capable de tout. Elle peut tout. Qui était le Précurseur et les deux Fondateurs ? Ils n’étaient rien, et pourtant le Lumière d’Amour s’est servi d’eux pour réaliser une œuvre immense.

– Tout cela sonne juste. Mais que penses-tu de la vision que j’ai eu ?

– Toute vision a toujours plusieurs sens, plusieurs niveaux de réalisations. Certains plus immédiats, d’autres plus lointains. Ce que tu as vu peux désigner le chemin des prochaines décennies face à toutes les menaces que l’on pressent. Ces symboliques peuvent aussi désigner plus concrètement ce que nous vivons ces années-ci.

Écoute, je dirais à les entendre que la Lumière d’Amour a donné trois années pour les ténèbres actuelles, suivies d’une année de bienfait. Une année où les nuages noirs sont apparus. Une année où les actions des hommes seront la cause de grands dégâts. C’est ce que l’on voit aujourd’hui. Une année où il faudra réconforter tous ceux qui peinent et qui désespèrent. Et une année où la vie reprendra le dessus, progressivement je pense.

Nous en sommes à la moitié des trois années de ténèbres. Et tu arrives là, comme un signe, qui montre le point d’inflexion.

– C’est intéressant, répond Eymeric pour qui les propos étonnant de la dame faisaient l’effet d’une musaraigne tombée du lit.

– Il est aussi autre chose. Les cavaliers désignent des esprits de lumière et d’amour qui se trouvent dans la Vive Flamme d’Amour. Le Précurseur et les deux Fondateurs ont beaucoup parlé de ces êtres flamboyants des régions célestes, en nombre incalculable. Malheureusement, ils restent quasiment oubliés de la majorité, même à Tanac. Les ministre de la Lumière d’Amour n’en parlent presque jamais. Tout cela est très dommageable. Car, sans eux, on finit même par ne plus comprendre la Vive Flamme d’Amour. Certains disent que la crise actuelle vient de notre négligence à ce sujet. Le vrai combat se situe là : entre les esprits d’amour, et ceux qui ont refusé de servir la Vive Flamme d’Amour. Notre propre choix ne consiste finalement qu’à choisir notre camp, et à servir d’un côté ou de l’autre dans des mouvements de vie ou de haine qui nous dépassent. La Vive Flamme d’Amour, avec les esprits flamboyants, nous appellent d’un côté à la vie véritable pour laquelle nous sommes faits. Et les êtres ténébreux nous incitent à la rébellion… Si l’on ne prend pas la mesure de ce combat, nous ne remporterons pas la bataille… Je me demande finalement si les esprits flamboyants ne vont pas se rappeler à nous très prochainement. Ils sont là, en myriades de myriades, à attendre le moment propice pour agir. Ils attendent que nous les invoquions, ils attendent que nous les appelions, pour que leur action se fasse un union avec nous. C’est peut-être là aussi le sens de ce que tu as vu…

– Les esprits flamboyants… Mon grand-père m’en parlait souvent ; et je vois bien que c’est une chance par rapport à beaucoup d’autres qui ne les connaissent pas.

À ce propos, il y a quelques années, étant venu dans ce monastère, je me tenais en haut du rempart. Je regardais vers le Sud. Et je voyais comme un être de noirceur qui enveloppait le monde et le tourmentait. Il avait une taille démesurée, et répandait une atmosphère à glacer le sang. Il semblait être installé au Sud, mais sa tête, son point d’unité, était là, tout contre le monastère. Alors, j’ai invoqué la Vive Flamme d’Amour, et les esprits flamboyants, notamment le Protecteur de Tanac… Et j’ai vu cet être de ténèbres tomber comme l’éclair. En un instant, il n’était plus là. Et à ce moment la Lune, qui semblait jusque là terne, s’est mise à briller d’une couleur réconfortante. C’était une demi-Lune… Crois-tu que j’ai rêvé ?

– Hé hé… Il se pourrait que non. Tu n’est pas le seul à avoir vu le Prince des ténèbres être rejeté de son point d’équilibre il y a quelques années… C’était un combat tout intérieur. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est finalement que le soubresaut d’un être qui a déjà perdu. Ce que certains ont vécu et vu, d’autres le vivent aujourd’hui à plus grande échelle, d’une manière plus visible, pour finir de rejeter ce puits d’horreurs…

Allez, sois joyeux ! Ne fais pas cette tête ! C’est quand même une bonne blague que la Vive Flamme d’Amour nous a faite en prenant un petit d’homme comme toi pour l’amener jusqu’à nous… Je vois déjà la tête de certains quand on leur racontera l’affaire : ils aimeraient que tout soit carré et rationnel… En fait, je crois que la Vive Flamme se moque du monde. Qu’elle est en train de faire une blague pour détendre l’atmosphère ! Car, les gens sont un peu tendus… Dans la grande partie d’échec qui est en train de se jouer dans le monde, la Vive Flamme vient d’avancer ses fous ! Tin tin !

La Reine avance un petit d’homme, et se tient prête à surprendre…

(À suivre)

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