Le Forum de Davos qui influence beaucoup les élites mondiales a choisi pour thème de ses rencontres en mai à Singapour : « la Grande Réinitialisation ». C’est aussi le titre d’un livre du fondateur de ce forum Klaus Schwab, écrit l’année dernière à l’occasion de la crise que nous traversons. Le monde serait comme un programme informatique devenu fou dont il faudrait faire table rase pour mettre en place un nouveau logiciel plus performant. Il s’agit de passer du monde d’avant qui est en échec, au monde d’après.
Quand on connaît certains principes de la pensée hégélienne qui sous-tendent le monde moderne, cela fait peur. Tout y est vu sous forme d’opposition et de négation, et c’est en détruisant que l’on crée du neuf.
Quand on constate les tendances de l’esprit contemporain, animé par exemple par le principe de disruption, cela fait peur. Il s’agit de sortir de tout ce qui nous limite et nous freine, pour, dans la désintégration de ce que nous avons été, faire advenir ce que nous voulons être.
De tels schémas de pensée ne mènent qu’au chaos et à la mort. Et, en l’occurrence, ils sont utilisés par ceux qui détiennent la puissance et l’argent pour des intérêts qu’il nous serait difficile de considérer pour le bien des gens.
C’est pourquoi, au lieu de la Grande Réinitialisation, nous prônons une Grande Rénovation. Notre monde est une Maison Commune à rénover. Des choses sont abîmées, des choses ont vieillies, à certains endroits elle prend l’eau. Il faut la restaurer.
On n’habite pas un logiciel. Alors que l’on habite une maison, comme on habite le monde. La métaphore du logiciel ne peut donc fonctionner quand il s’agit d’un sujet aussi délicat que de changer le monde. Alors que celle de la maison vient d’une expérience première et fondamentale qui nous parle de notre lieu de vie, comme l’est le monde.
Dans une rénovation, on ne fait pas table rase. Mais on assainit ce qui a besoin de l’être. On sauve les murs porteurs et les poutres maîtresses qui tiennent encore. On déblaie les endroits où tout s’effondre pour rebâtir à partir de là où tout est solide. On s’ancre dans ce qu’a été la maison, et, à partir de là, on permet à la vie de se déployer à nouveau. On n’arrive pas avec des plans tout faits et des idées préconçues. Mais, on accueille la réalité telle qu’elle est pour la modeler progressivement et en respectant ses formes et ses nécessités, tout en y ajoutant sa note personnelle.
Cela demande du temps et de la patience. Cela demande de l’observation et de l’ingéniosité. Cela demande de s’ouvrir à la vie et à la réalité.
Dans cette entreprise de rénovation de la Maison Commune, chacun est responsable de sa partie du chantier. Chacun a son rôle à jouer avec sa liberté et sa responsabilité. Chacun est le mieux placé pour connaître sa contribution à apporter.
Dans cette entreprise, ce sont les dynamiques de vie qu’il faut susciter et encourager pour que chacun puisse trouver de quoi mener sa vie dans des relations de proximité qui dessinent les formes, les rondeurs et les harmonies de notre belle demeure.
Dans cette entreprise, il faut aimer, soigner et partager tous les trésors que nous pouvons trouver : ceux de la nature, de la culture, des arts et des spiritualités. Car, c’est par les biens aimés et partagés que se bâtissent les vraies amitiés.
À cette entreprise de rénovation, tout le monde est invité.
Alors, je dis non à la Grande Réinitialisation qui veut tout effacer pour tout recommencer sans rien respecter. Le passé nous a montré où menait la politique de la table rase : aux millions de morts du communisme, du nazisme et de la révolution culturelle.
Et je dis oui à une Grande Rénovation qui vient quémander notre libre adhésion pour nous amener à soigner la vie et à la danser.
L’un se veut rapide et efficace. Il croit que tout se décide à quelques uns.
L’autre accepte le temps long et l’épaisseur de la vie, qui seuls sont capables de nous procurer des joies véritables et durables. Il croit que la vie est un chemin et un mystère, où tous agissent comme les musiciens dans un concert.
L’un est voué à l’échec, même s’il se donne de grands airs. L’autre ne peut que réussir, même s’il est humble et petit.
Car la vie a ses secrets dont on ne peut se saisir. Elle nous dépassera toujours, et saura mener ceux qui la servent avec amour vers des renouveaux dont il ne faut jamais désespérer.
La vie et l’amour sont un mystère qui nous dépasse, et qu’il faut servir. C’est pour cela que l’on ne peut se contenter d’un humanisme qui respecte la dignité de chaque personne humaine. Mais nous prônons un très-humanisme qui s’intéresse à l’homme et au-delà de l’homme. Cet au-delà, ce sont toutes ces relations humaines qui se forment. C’est le cosmos qui est au-delà de l’humanité. Et cela ouvre la porte au mystère de la spiritualité. La Grande Réinitialisation est une entreprise trans-humaniste, qui veut modeler l’homme à son gré sans le respecter. La Grande Rénovation est une œuvre très-humaniste, qui sert l’homme et au-delà de l’homme.
Dans cette aventure du service de la vie et de l’amour, il faut toujours veiller à ce que notre passion motrice prédominante soit bien l’enthousiasme devant le bien à réaliser, et non la colère devant le mal qui sévit. Car sinon, nous ne ferons que détruire… Au lieu de rebâtir.
Alors mettons-nous en habits de chantier, retroussons nos manches, rejoignons les autres ouvriers, et commençons à restaurer. Et la vie nous mènera, en suivant son courant, et même si parfois tout semble s’arrêter, vers un monde renouvelé.
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